Porte Ouverte Magazine

Libération conditionnelle : tout le monde dehors... vraiment?

By Isabelle Demers,
Ex-présidente de la Commission québécoise des libérations conditionnelles du Québec

À cause d’un manque de rigueur et de professionnalisme, Yves Thériault nuit à la cause de la réinsertion sociale

La série documentaire de huit émissions télévisées intitulée Enquête sur les libérations conditionnelles assortie de la publication du livre Tout le monde dehors par le journaliste et documentariste Yves Thériault dessert bien les intérêts du monde des communications avide de sensationnalisme. Mais en vertu de quelles règles d’éthique journalistique et à quel prix pour une population connaissant mal le fonctionnement des règles complexes régissant la gestion de la sentence d’incarcération au Canada?

Une analyse des nombreux articles publiés dans les journaux et les émissions qui ont suivi, démontre que l’objectif que s’était fixé monsieur Thériault de montrer ce qui ne fonctionnait pas dans le système des libérations conditionnelles n’a pas été atteint. Au contraire, du point de vue de spécialistes qui œuvrent dans ce domaine depuis plusieurs années, cette saga démontre plus que jamais l’importance de bien éduquer le public, incluant les médias d’information, sur le fonctionnement de la libération conditionnelle.

De grossières erreurs

Il importe de préciser dans un premier temps que les sources d’information consultées sont dans la grande majorité des personnes qui n’ont pas vu leur mandat renouvelé à titre de membre de la CQLC.
Ce faisant, bien que l’auteur soit tout à fait libre de consulter ce type de source, son travail de journaliste lui imposait une éthique journalistique plus rigoureuse, à savoir rechercher également une information officielle en s’adressant aux dirigeants des organismes, tant au plan fédéral que provincial, pour obtenir des données exactes et à jour. Cela eut évité certaines erreurs grossières dont entre autres, les prétentions que les évaluations en milieu fermé sont réalisées par les agents des Services correctionnels du Québec. Qu’on se le dise, ces évaluations sont réalisées par des criminologues compétents depuis plus de quatre années!

En matière de mise en liberté sous condition, dont la libération conditionnelle en constitue une partie importante, c’est tomber dans le piège de la facilité et de la démagogie que de relater les cas d’échec du passé alors que le public est de moins en moins réceptif au discours de la réhabilitation des personnes contrevenantes.

«Il est regrettable que l’auteur fasse intentionnellement abstraction des différentes mesures législatives ou administratives qui ont été prises pour apporter des correctifs aux problèmes rencontrés.»

Car il est clair qu’un courant de droite sévit présentement au Canada, notamment à l’égard des mesures de gestion de la sentence d’incarcération en milieu ouvert. Par ailleurs, lorsqu’on traite des «échecs» de la libération conditionnelle comme cela semble être la spécialité de l’auteur de Tout le monde dehors, n’estil pas également nécessaire de citer les statistiques de ces échecs (moins de 7 % de taux de récidive), mais également de présenter au public, une image réelle du programme de libération conditionnelle (taux de réussite globale de près de 94 %).

Un flou artistique

De plus, lorsque suite à la parution du livre, monsieur Thériault ne réagit pas aux prétentions de ceux qui affirment que Mario Bastien était en libération conditionnelle alors qu’il sait très bien que ce dernier était en absence temporaire, et choisit de maintenir un flou artistique en n’expliquant pas les distinctions inhérentes au système correctionnel, comme par exemple la distinction entre l’absence temporaire et la libération conditionnelle, il fait le choix éditorial de mettre de côté son chapeau de journaliste pour en choisir un de polémiste et ce, au détriment de son devoir d’information objective. Ce type de situations se retrouve malheureusement à trop de reprises dans son livre et dans les émissions auxquelles il a collaboré, pour que le lecteur averti ne fasse pas preuve de prudence et de scepticisme.

Il est dommage que monsieur Thériault ne se soit pas abstenu d’écrire le chapitres 7 et 8, intitulés respectivement une Organisation de broche à foin et Bastien devant la CQLC : zéro en trois de son livre s’attardant à détruire la réputation de la présidence de la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC) et celle de l’institution. Les allégations qui y sont présentées sont fausses et relèvent plus souvent qu’autrement du domaine de la diffamation. Ces chapitres n’étoffent en rien l’objectif poursuivi par l’auteur. Au contraire, ils enrichissent la thèse que certains journalistes se complaisent dans le sensationnalisme et la démagogie au détriment d’une information objective, crédible et de qualité d’une mesure de gestion de la sentence d’incarcération qui a fait ses preuves depuis plus de 100 ans au Canada.

À titre d’exemple, affirmer que la nomination de la présidence de la Commission était en collusion avec les autorités politiques pour vider les prisons du Québec en raison du déficit zéro relève du domaine de la fantaisie et entretient la culture de la confusion à l’endroit du public qui a droit à une information de qualité lorsqu’il s’agit de sa sécurité. Les taux d’octroi de la CQLC ont toujours été comparables à ceux de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) qui exerce une compétence sur les cas provinciaux dans les sept provinces où il n’existe pas de commission provinciale de libération conditionnelle. La CQLC, tout comme les autres commissions au Canada, est et demeurera un tribunal administratif indépendant et autonome qui a pour mission de protéger le public et de favoriser la réinsertion sociale des personnes détenues. La présidente de la Commission a toujours maintenu ce discours à tous les ministres de la Sécurité publique qui se sont succédés.

Il est également faux de prétendre que la CQLC n’a aucun contact avec le Service correctionnel du Canada concernant les dossiers de la clientèle. La Commission est membre de l’Association canadienne des commissions de libération conditionnelle regroupant le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique et la CNLC. L’échange d’information a toujours fait partie des préoccupations de l’Association depuis sa création en 1981. Un accord sur le transfert de compétence à l’égard des libérés conditionnels à été signé en 1996 entre les gouvernements du Québec, de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Canada. L’échange d’information est au centre des préoccupations de cette entente. De plus, une autre entente entre le Service correctionnel du Canada et les Services correctionnels du Québec a été signée en 2003. Elle prévoit un échange électronique d’informations entre le gouvernement du Canada et celui du Québec concernant les délinquants détenus dans un établissement de détention provincial ou dans un pénitencier fédéral. Il est malheureux qu’il n’en soit aucunement mention dans la série télévisée ou dans le livre de monsieur Thériault.

Manque de rigueur et de professionnalisme

Il est par surcroît regrettable de constater que les quelques cas d’échec qui y sont relatés se sont produits il y a plusieurs années, et que l’auteur fasse intentionnellement abstraction des différentes mesures législatives ou administratives qui ont été prises depuis pour apporter des correctifs aux problèmes rencontrés au fil des ans (…). C’est tomber dans le piège de la facilité que de décrier les cas d’échecs au détriment d’un grand nombre de personnes qui réussissent à s’en sortir. De plus, les titres de la série télévisée intitulée Enquête sur les libérations conditionnelles et du livre sont plus vendeurs que révélateurs. Par exemple, la série télévisée ne parle pas uniquement de libération conditionnelle, mais également de témoins repentis, de négociations de sentences et d’autres sujets non directement reliés à la libération conditionnelle. Pourquoi les associer au titre de cette série?

En manquant de rigueur et de professionnalisme journalistiques, monsieur Thériault n’aide en rien la cause de la réhabilitation et de la réinsertion sociale face à une opinion publique qui y est de moins en moins réceptive. Il affirme pourtant y croire, mais la parution de cette série télévisée et du livre alimentent davantage le courant abolitionniste de la libération conditionnelle au Canada que sa promotion.

Au cours des dernières années, la CQLC a déployé énormément d’énergie afin de démystifier les processus menant à une libération conditionnelle auprès de la magistrature, des principaux intervenants du système de justice, des milieux d’enseignement et du public en général. Elle en a d’ailleurs fait une orientation dans son plan stratégique 2001-2004 déposé à l’Assemblée nationale du Québec : Améliorer la connaissance du programme de libération conditionnelle sous l’axe d’intervention communications publiques. L’objectif stratégique sous-tendant cette orientation est de mieux faire connaître la mission et les activités de la Commission aux personnes détenues, aux intervenants du système de justice pénale et à la population. De plus, la CQLC préside depuis plus d’une année un comité de travail de l’Association canadienne des commissions de libération conditionnelle chargé de définir une stratégie de communication commune. Dans cette perspective, l’Association a rencontré des journalistes des principaux médias d’information canadiens pour discuter de cette question fort importante.

Pour les commissions canadiennes de libération conditionnelle et en particulier celle du Québec, la collaboration transparente des médias d’information demeure essentielle à la réalisation de cet objectif de sensibilisation et d’éducation du public aux réalités souvent complexes régissant la mise en liberté sous condition des personnes contrevenantes. Plusieurs détracteurs de la libération conditionnelle au Canada sont plus souvent qu’autrement enclins à oublier que les commissions de libération conditionnelle administrent des lois adoptées par les assemblées législatives.

Il importe de préciser que la CQLC, pour l’années 2003-2004, enregistre un taux d’octroi de la libération conditionnelle de 47 %. Contrairement à ce que certaines personnes ont allégué dernièrement, la libération conditionnelle ne constitue pas un mécanisme pour vider les prisons pour des raisons d’économie. La CQLC est un tribunal administratif indépendant et autonome libre de toute ingérence dans son processus décisionnel, et elle le restera.

Une mesure qui a fait ses preuves

La CQLC a toujours cru que la personne détenue sortira de prison à la fin de sa sentence et qu’il vaut mieux initier une démarche de réinsertion sociale graduelle et sécuritaire dans la communauté pour les personnes qui ne représentent pas un risque indu pour la protection du public et qui présentent un potentiel intéressant de réhabilitation et ce, dans le cadre légal permis et avec un encadrement approprié.

Le Québec, dans le domaine pénal, a toujours fait preuve de modération : l’incarcération lorsque nécessaire, mais pas nécessairement l’incarcération. Le Québec est l’une des provinces qui a toujours été à l’avant-garde dans la mise en application de mesures sentencielles à caractère communautaire et qui a donné le ton dans plusieurs dossiers : la libération conditionnelle pour les cas de compétence provinciale en 1978, les travaux communautaires dans le cadre d’une ordonnance de probation au début des années 80, la restitution monétaire et les travaux compensatoires à défaut de payer une amende sont autant de mesures qui ont inspiré le législateur fédéral et d’autres provinces à élargir l’éventail des mesures sentencielles (…) disponibles.

La libération conditionnelle a maintenant plus de 100 ans au Canada et existe depuis plus de 25 ans au Québec. La Cour suprême du Canada a bien campé les volets de sa mission et son fonctionnement, et le législateur fédéral, chargé de la détermination de la peine à la suite d’une condamnation pour une infraction à une loi fédérale, a reconnu son utilité et sa pertinence. Il y a certes toujours place à l’amélioration des systèmes de mise en liberté sous condition au Québec, et de nombreux efforts ont été consentis en ce sens au cours des dernières années. La CQLC, de concert avec l’ensemble de ses principaux partenaires et des autorités gouvernementales, continue de tout mettre en œuvre pour la réalisation de sa mission fondamentale de protection du public et de réinsertion sociale de la personne contrevenante.