Porte Ouverte Magazine

Loi sur le système correctionnel du Québec

By Jean-François Cusson,
ASRSQ

Relations entre les Services correctionnels du Québec et le réseau communautaire : Tout un défi!

Lorsque le 28 avril 2006, le ministre de la Sécurité publique du Québec annonçait l’implantation progressive de la Loi sur le système correctionnel du Québec (LSCQ), il insistait sur le fait que les modifications allaient permettre l’amélioration de la sécurité des Québécois. «Cette nouvelle loi permet de mettre en place les moyens et les conditions visant à réduire au minimum le risque associé à l’objectif de réinsertion sociale des personnes contrevenantes. C’est ainsi qu’elle apporte des modifications substantielles dans les façons de faire au regard de l’évaluation des personnes confiées aux Services correctionnels du Québec (SCQ), du régime de remise en liberté, du suivi des personnes contrevenantes dans la communauté, du soutien à la réinsertion sociale et de la contribution de la communauté dans son sens large et des organismes communautaires du secteur pénal.»

Précisions : Suite au meurtre d’Alexandre Livernoche, le ministre de la Sécurité publique avait confié à Claude Corbo le mandat d’effectuer une «analyse complète et détaillée du processus décisionnel menant à l’élargissement en milieu ouvert ou en absence temporaire et à la libération conditionnelle des personnes contrevenantes sous la responsabilité de la Direction générale des services correctionnels du ministère». Ce mandat comportait donc la tâche d’«examiner et de revoir chacune des étapes de ce processus, le rôle et les responsabilités des divers intervenants y étant impliqués ainsi que les interactions qui les lient», et aussi d’«étudier les modalités d’encadrement et de contrôle auxquelles sont soumises les personnes contrevenantes, dans le cadre de ces mesures». En résumé, les modifications proposées étaient liées au financement des activités nécessaires à l’évaluation, à l’encadrement et au traitement des contrevenants, sans oublier l’implantation d’un système de gestion des données. Cet exercice, combiné à des consultations publiques, a mené au dépôt d’un projet de loi visant une réforme du système correctionnel du Québec.

Également, le 5 février 2007, lors de la mise en vigueur de la loi, il rappelait l’importance de «rétablir le lien de confiance entre le système correctionnel québécois et le citoyen.» Rappelons que parallèlement aux lacunes qui avaient été identifiées au moment du dépôt du rapport Corbo (voir précisions), les services correctionnels vivaient une crise de confiance de la population à son égard. On ressentait alors un cynisme important envers cette organisation qui s’est traduit par la publication de l’ouvrage d’Yves Thériault, Tout le monde dehors. Il est particulier de constater le succès qu’a connu ce livre alors que les principaux problèmes décriés (la libération hâtive des détenus notamment par la voie des absences temporaires) n’étaient plus d’actualité au moment de sa publication.

Décidément, le système correctionnel québécois n’avait plus la cote auprès des citoyens (l’aurait-il un jour?) et il devenait essentiel de remédier à la situation. Il devenait essentiel de bien réussir l’exercice de l’implantation de la Loi. Ce n’était pas juste une question de crédibilité, mais il fallait aussi offrir un meilleur encadrement aux délinquants.

Des liens à reconstruire

La mise en vigueur de la LSCQ s’avérait être une affaire colossale. En plus de tous les défis liés à la structure des services correctionnels et à l’implantation des mesures contenues dans la Loi, il ne fallait pas négliger les difficultés que pouvait représenter le développement du partenariat avec les organismes communautaires. Penser qu’il ne s’agirait que d’une simple formalité aurait été de nier l’histoire correctionnelle du Québec.

En choisissant de confier au secteur communautaire 52 % des cas de surveillance que l’on retrouve en communauté, les SCQ posaient un geste important venant confirmer le rôle essentiel des organismes communautaires. Si, de façon générale, tous se réjouissaient de voir le rôle accru qu’allaient jouer les organises communautaires par le biais de la surveillance communautaire, il y avait des doutes sur la façon dont tout ça allait s’orchestrer. Pour plusieurs, les négociations à venir allaient être un véritable test afin de vérifier le réel potentiel de partenariat entre les SCQ et le réseau communautaire.

Malgré le fait qu’au cours des dernières années, l’ASRSQ et ses membres se sont manifestés régulièrement afin de demander au gouvernement de reconnaître l’importance d’investir dans les Services correctionnels du Québec et de mieux les soutenir dans l’atteinte de leur mission, les relations entres les deux organisations n’ont pas toujours été des plus harmonieuses.

Dans les années 70 et 80, le gouvernement disposait d’argent pour soutenir les projets et les initiatives du réseau communautaire. Il était alors possible de faire preuve de créativité et cette période a permis à ce réseau de se développer.

Toutefois, au cours des années 90, les SCQ font l’objet de réductions alarmantes de leur financement. Entre 1994 et 1997, c’est plus de 26 millions qui leur ont été amputés. Ces compressions se sont traduites, notamment, par des suppressions de programmes de réhabilitation, d’importantes réductions (20 %) des sommes allouées au programme de travaux compensatoires (passant de 2,3 millions à 1,9 millions), la fermeture d’établissements de détention et la réduction d’effectifs. Les SCQ ont dû alors faire des choix déchirants et c’est à ce moment que les relations entre les SCQ et le réseau communautaire sont devenues plus précaires.

Le règne des incohérences

En 1993, l’ASRSQ publiait Les Services correctionnels québécois ou le règne de l’incohérence qui se voulait une charge à fond de train à propos des difficultés que vivaient les SCQ. En résumé, l’étude dénonçait le manque de rigueur des SCQ à réaliser leur mission. L’ASRSQ déplorait le manque d’évaluation des délinquants et l’absence de cohérence entre les différentes mesures d’encadrement et les programmes offerts. Également, l’Association dénonçait une incompréhension des SCQ du réseau communautaire. Le document insistait aussi sur l’importance de considérer la réinsertion sociale comme une mesure de prévention du crime. Avec le Règne de l’incohérence, Loi sur le système correctionnel du Québec l’ASRSQ dénonçait une situation qu’elle jugeait aberrante. Elle ne proposait pas de réelle solution afin de permettre aux SCQ de régler les problèmes identifiés.

La publication de ce document a marqué les relations entre l’ASRSQ et les SCQ et plusieurs se souviennent très bien de cette période. Pour certains, le ton qu’avait utilisé l’ASRSQ n’était pas approprié, mais il n’en demeure pas moins que ses critiques étaient justifiées.

Pour François Bérard qui, à ce moment, siégeait sur le conseil d’administration de l’ASRSQ, le réseau communautaire constatait que sa survie était en péril. «O n sentait que nos observations dérangeaient. Nous avions l’impression, à tort ou à raison, qu’on voulait nous sortir du décor. La rupture des liens était presque complète entre les SCQ et l’ASRSQ. N’oublions pas qu’à cette période, les SCQ avaient une belle image et que nos dénonciations la compromettaient.»

Vers un véritable partenariat

Au cours des années suivantes, l’ASRSQ modifie son approche et préfère se positionner comme un partenaire. Elle cherche alors à connaître la façon dont elle pourrait soutenir l’action des SCQ et leur proposer des solutions. C’est dans cet esprit que l’ASRSQ participe à l’enquête de Claude Corbo et qu’elle se présente aux consultations publiques à l’hiver 2002, lors de l’étude des modifications proposées pour assurer la refonte du système correctionnel québécois. À cette occasion l’ASRSQ a déposé un mémoire reprenant plusieurs arguments qu’elle avait utilisés lors de la publication du Règne de l’incohérence, mais cette fois, elle propose une implication accrue du communautaire.

Lors des consultations, Daniel Bellemare qui représentait alors l’ASRSQ, avait été questionné sur les priorités financières du gouvernement. «J ’avais fait valoir que l’argent devait d’abord aller à l’évaluation des délinquants et non au communautaire. Une meilleure évaluation permettra des décisions encore plus éclairées. À partir de ce moment, les délinquants pourront être encore mieux dirigés vers les ressources adéquates et il deviendrait approprié d’investir dans le communautaire.»

Suite à cet exercice, un projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale et il a été adopté à l’unanimité par les députés en juin 2002. Toutefois, l’investissement financier nécessaire à l’implantation complète de cette nouvelle Loi manquait. Pis encore, à l’été 2002, trois nouvelles vagues de compressions successives totalisant 9,5 millions étaient annoncées. Pour l’ASRSQ, ces nouvelles compressions venaient compromettre la capacité des SCQ d’assurer adéquatement la protection du public. D’ailleurs, l’Association a profité de l’occasion pour déposer un deuxième avis au Conseil du Trésor (le premier datait de 2000) afin de demander un meilleur financement des SCQ pour leur donner les moyens de leurs ambitions.

Il faut dire que, même si les relations entre l’ASRSQ et les SCQ se sont améliorées au cours des dernières années (n’oublions pas que l’ancienne directrice générale de l’ASRSQ a été nommée sous-ministre associée aux SCQ), c’est tout de même avec une certaine appréhension que les négociations entre le réseau communautaire et les SCQ se sont amorcées. Malgré tout, la relation entre les SCQ et le réseau communautaire demeurait toujours fragile; les propos d’un document anciennement produit pour l’ASRSQ résumaient encore bien le malaise ressenti par plusieurs :

Une chose frappe aussitôt celui qui consulte les intervenants des services de réhabilitation : une grande frustration a gagné la plupart d’entre eux. Pour d’autres, il s’agit d’une résignation à la conclusion que rien ne fonctionne et que comme rien ne changera il vaut mieux simplement tenter de tirer son épingle du jeu. La frustration est d’autant plus grande du fait que la Direction générale des services correctionnels (DGSC) les consulte et les implique à tous les détours — au point que s’installe presque une fatigue de participer — mais sans jamais prendre leurs recommandations au sérieux. Au mieux, on intègre à la vacomme-je-te-pousse quelques idées ça et là mais sans se soucier d’élaborer un ensemble clair et cohérent.

C’est probablement pour cette raison que les négociations à venir entre le réseau communautaire et les services correctionnels représentaient un défi important. La nouvelle Loi reconnaissait maintenant le rôle essentiel du communautaire et le ministère de la Sécurité publique prévoyait lui confier 52 % des cas de suivi communautaire. Il fallait maintenant passer de la parole aux actes. La Direction des services correctionnels du Québec allait-elle être conséquente à l’esprit de partenariat contenu dans la Loi? Et le réseau communautaire allait-il vouloir collaborer?