Porte Ouverte Magazine

Vieillir et mourir en prison : Refuser l'inacceptable

By Claire Guenat,
Candidate au M.Sc.Criminologie, Université de Montréal

Nos aînées incarcérées : Une population bien trop longtemps oubliée

Les femmes âgées incarcérées ont longtemps été considérées comme une population négligée (Aday, 2003). Cela s'explique en grande partie par la surreprésentation des hommes au sein du milieu carcéral. Bien que les recherches sur le vieillissement carcéral aient commencé à se développer au milieu des années 70, il faut attendre le début des années 2000 pour que le champ de connaissances sur les femmes vieillissant en prison se développe. Dans cet article, nous ferons un état des lieux des connaissances sur le sujet en abordant la question du vieillissement au féminin et des besoins rencontrés par les délinquantes âgées.

Le processus de vieillissement : une comparaison en matière de genre

Vieillir est une expérience que nous partageons tous et que certains craignent. Le vieillissement entraine divers changements d'ordre physique, cognitif ou encore psychosocial. Malgré les traits communs de l'âge d'or, il faut garder à l'esprit que la vieillesse peut s'étudier au féminin et au masculin.

En 2011, au Canada, 22% des femmes atteignaient le seuil de 60 ans contre 19% des hommes et 2,6% atteignaient l'âge de 85 ans contre 1,3% des hommes (Martel et Gaymu, 2012). Ce constat laisse penser qu'une plus grande majorité de femmes sera confrontée au veuvage et à l'isolement alors que les hommes vieilliront plus souvent en couple.

D'un point de vue économique, les femmes âgées bénéficient d'un pouvoir financier moins élevé que les hommes. Cela est en grande partie dû au fait que de nombreuses femmes n'ont jamais travaillé à l'extérieur de la maison. Les emplois occupés étaient pour la plupart à temps partiel, et ceux­ci, souvent mal rémunérés et sous­estimés. Encore aujourd'hui, les ainées canadiennes ont un revenu bien inférieur à leur homologue masculin, surtout au Québec, hommes (Langis, 2012).

Un autre point important lorsque l'on aborde le vieillissement féminin est l'idée du rapport à l'image de soi. L'image véhiculée par la société des femmes vieillissantes est empreinte de faiblesse, de vulnérabilité et de dépendance. Les changements physiques liés à l'avancée en âge sont nombreux et rentrent en conflit avec les critères de beauté occidentaux axés sur la jeunesse. Ces changements peuvent alors affecter l'estime de soi et influencer la perception que les ainées ont d'elles-mêmes.

Passé 65 ans, les femmes ont également une perception plus négative de leur état de santé que les hommes. Les femmes âgées sont d'ailleurs plus exposées à des problèmes de santé, notamment aux maladies chroniques. On observe également des différences au niveau du stress ressenti et cette différence s'accentue avec l'âge. Les femmes sont plus vulnérables face au stress engendré par le travail, la famille et les relations sociales et sont d'ailleurs plus à risque de développer des signes de dépression en réponse aux événements stressants rencontrés au cours de leur vie (Almeida et al., 2011).

Il est donc crucial dans notre société vieillissante, d'accorder de l'importance à ces femmes judiciarisées qui seront confrontées au stress de l'enfermement et de l'isolement dans un milieu où l'image féminine est grandement dégradée.

Les ainées derrière les barreaux : qui sont-elles?

Il est assez difficile d'obtenir des données concernant le nombre de délinquantes âgées se trouvant aujourd'hui dans nos pénitenciers et prisons provinciales au Canada. Si l'on se fie à l'étude menée par les Services correctionnels canadiens sur les caractéristiques des femmes adultes purgeant une peine de ressort fédéral entre 1981 et 1998, on constate que le nombre de femmes incarcérées augmente de 1,5 fois avec 200 femmes en 1981 et 321 en 1998. La proportion de femmes âgées de plus de 50 ans double durant cette période et passe de 5% à 10%. Plus récemment, une étude menée par le comité de la statistique correctionnelle met en avant l'importante augmentation de l'âge des délinquantes au moment de leur admission. On remarque qu'il y a une augmentation des femmes âgées de plus de 50 ans admises en établissement fédéral, soit 12,1% en 2011-2012 contre 4,9% en 2002-2003. Aux États-Unis, les arrestations de femmes âgées de 50 et 54 ans constituent la catégorie en plus forte croissance avec une augmentation de 156% entre 1998 et 2009 (Aday, 2011).

En ce qui concerne le crime commis, Flynn, en 2002 émet une typologie des délinquantes âgées. Cette typologie se divise en trois catégories : les délinquantes sur le tard, les délinquantes de carrière et celles qui vieillissent en prison.

Les délinquantes sur le tard sont incarcérées pour des crimes graves souvent perpétrés à l'encontre du conjoint dans un contexte de violence familiale. Ces détenues font face à de gros problèmes d'adaptation car elles ne sont pas familiarisées avec le milieu carcéral. Ce qui fait la particularité des délinquantes de carrières c'est la variété de crimes commis menant à l'emprisonnement. Ce sont des femmes aux prises avec des problèmes de consommation de drogue ou d'alcool, incarcérées pour des crimes tels que le vol, la conduite avec facultés affaiblies ou encore des délits liés aux drogues. Enfin, la dernière catégorie regroupe les femmes ayant commis des crimes graves dans leur jeunesse et purgeant une longue peine les obligeant à vieillir en prison. Huit ans plus tard, Greiner et Allenby (2010), soulèveront la question d'une quatrième catégorie regroupant les femmes d'âge moyen subissant une première peine de plus de 10 ans, celle-ci étant en rapport avec des crimes pour la majorité non violents.

Pour résumer, bien que moins nombreuses que les hommes, nos ainées délinquantes sont bien présentes au sein du système carcéral. Leur nombre augmente et continuera à croitre avec la hausse du nombre de femmes condamnées à perpétuité (Dell et al., 2001). Il est donc primordial, pour les années à venir, de focaliser notre attention sur cette population grandissante aux besoins particuliers.

La santé : une problématique centrale

En matière de santé, les femmes sollicitent deux fois et demie plus le personnel soignant que les hommes (Aday, 2003). Cela s'explique en partie par la consommation de substances, la pauvreté et la victimisation auxquelles elles font face avant leur entrée en prison. En effet, la plupart d'entre elles ont subi des évènements de violence répétitifs de la part de leurs conjoints. Très souvent, elles évoluent dans un milieu pauvre, sans emploi et sans assurance maladie leur permettant de subvenir à leurs besoins en matière de santé ou de consommation.

Les principaux problèmes de santé physique rapportés par les délinquantes âgées au Canada sont l'arthrite, le taux de cholestérol élevé et les problèmes cardiovasculaires. En ce qui concerne la santé mentale, les femmes sont plus particulièrement affectées par la dépression, le stress post-traumatique ainsi que les troubles d'anxiété (Michel et al., 2012). La santé et notamment sa dégradation occupe une place omniprésente dans la vie des détenues plus âgées puisqu'elle affecte les activités banales de la vie quotidienne comme se déplacer et travailler. Afin de pallier l'effacement et l'isolement de cette population, il est donc primordial d'accorder de l'importance aux requêtes émises par celle-ci.

La première critique adressée à l'établissement est liée au temps d'attente pour avoir accès aux spécialistes de santé (psychologues, gynécologues, etc.). La seconde critique concerne les besoins nutritionnels : les femmes plus âgées aimeraient avoir accès à de la nourriture plus saine et un régime adapté à leur âge dans le but de limiter la prise de poids et les affections en résultant. Malgré cela, il est très important de noter que la majorité des femmes sont satisfaites de la façon dont leur santé physique est prise en charge. Il est en revanche plus difficile de statuer en ce qui concerne la satisfaction des soins de santé mentale.

Passer au travers de sa peine, oui, mais comment?

Comme Jean Miller le présentait dans sa théorie développementale en 1993, l'identité et le bien-être féminin sont liés à la capacité et la motivation des femmes à maintenir des relations avec autrui et plus particulièrement avec les membres de sa famille. Des contacts trop peu fréquents et discontinus entraineraient alors, au cours de la vie d'une femme, une détresse psychologique traduite par des symptômes dépressifs et anxieux ainsi qu'une grande solitude.

En transposant cette théorie aux conditions de vie du milieu carcéral, il est alors facile de comprendre le rôle joué par la famille de la personne en détention. Celle-ci apporte un soutien émotionnel et financier aux détenues. Lorsque les contacts sont fréquents, ils permettent à la détenue de garder son rôle d'épouse, de mère ou de fille et de cette manière d'avoir sa place au sein de la famille. Bien qu'éloignée, elle n'est plus effacée et à son mot à dire dans l'organisation et l'évolution de la vie de famille. Il est rassurant de constater qu'une grande majorité des détenues âgées rapportent être toujours en contact avec leur famille et pouvoir se tourner vers elle pour obtenir des conseils. Il ne faut cependant pas oublier les contraintes auxquelles font face ces familles et prendre en compte plusieurs facteurs tels que la nature du crime commis, la distance géographique et les règles de visites strictes pouvant entrainer une détérioration des relations familiales au cours du temps.

Lorsque les relations familiales se dégradent ou disparaissent (rupture, décès, etc.) les détenues peuvent compter sur leurs codétenues. L'amitié en prison joue un rôle très important puisqu'elle permet de passer au-delà des difficultés liées à l'adaptation au milieu carcéral, de pallier la solitude et de contribuer au maintien de l'identité sociale. En ce qui concerne les préférences amicales, l'âge joue un rôle très important puisque les plus âgées manifestent quasi unanimement dans les différentes études sur le logement, vouloir vivre dans une unité spécialisée, entre elles. Cependant, ce n'est pas le seul critère retenu : le temps de peine, le milieu de travail et les passe-temps sont également des paramètres déterminants. L'inconvénient en prison, est qu'il n'est pas toujours facile pour elles de choisir qui fréquenter dans une institution où les détenues sont souvent réparties en fonction de la nature de leur crime, de leur état de santé ou encore de la place disponible. Rien ne prédit d'ailleurs combien de temps les détenues vivront avec la même « colocataire ». Il est alors plus difficile, dans ce contexte de créer de vraies relations, stables, au sein desquelles les détenues peuvent s'ouvrir et s'exprimer confortablement.

Les besoins d'un point de vue criminologique

Le modèle basé sur les principes de risque, besoin et réceptivité (modèle RBR) est le modèle le plus utilisé pour l'évaluation et le traitement des détenus au sein du système correctionnel canadien. Selon le principe de risque, l'individu doit recevoir un niveau d'intervention correspondant à son niveau de risque de récidive. Selon le principe des besoins, ce sont les facteurs criminogènes, comme la toxicomanie ou les fréquentations, qui doivent être ciblés au cours du traitement et enfin, selon le principe de la réceptivité, l'intervention doit être adaptée selon les aptitudes, le style d'apprentissage, les motivations et les points forts du détenu.

Trois domaines de besoins primant chez les délinquantes âgées ont été mis en avant récemment (Greiner et Allenby, 2010). Il s'agit des domaines 1) de l'orientation personnelle et affective, qui évalue dans quelle mesure le délinquant veut être maître de sa vie 2) des fréquentations, qui évaluent l'importance que le délinquant accorde à la fréquentation de personnes qui respectent la loi et la possibilité qu'il a d'entretenir des relations sociales positives et dans une moindre mesure 3) des relations familiales, qui évaluent l'importance que le délinquant accorde à la vie familiale et le soutien qu'il en retire. Ces résultats cadrent avec la théorie de Miller vue ci-dessus selon laquelle les femmes ont des besoins relationnels élevés puisque l'incarcération intervient comme point de rupture important des liens sociaux. Ils permettent également de donner des pistes en matière de programmes au système correctionnel afin d'aider les délinquantes âgées dans leur cheminement au sein du système carcéral. Nous mettrons tout de même un petit bémol en ce qui concerne l'application du modèle RBR chez les femmes et d'autant plus chez les femmes âgées, car bien que de nombreuses études mettent en avant son caractère probant, le débat reste ouvert quant à sa pertinence dans un contexte féminin.

Conclusion 

C'est un fait, la population carcérale vieillit et de plus en plus de nos aînées se retrouvent derrière les barreaux. On commence à avoir une idée assez générale des enjeux liés au vieillissement féminin en contexte carcéral mais de nombreuses lacunes subsistent, particulièrement au Canada où tout reste à faire. Le plus important sera sans aucun doute, dans les années à venir, de réfléchir à la mise en place de programmes carcéraux spécifiques et à offrir une formation en gérontologie au personnel pénitentiaire afin qu'il soit armé pour répondre aux besoins des plus âgés.


Bibliographie

Aday, R. H. (2003). Aging prisoners: Crisis in American corrections. Westport, CT: Praeger

Aday, R. H. et Jennifer J. Krabill. (2011). Women aging in prison: A neglected population in the correctional system. Boulder, CO : Lynne Rienner Publisher

Almeida, D. M., Piazza, J. R., Stawski, R. S. et Klein, L. C. (2011). The speedometer of life : stress, health and aging. Dans Schaie, K. W. et Willis, S. L (dir.), Handbook of the psychology of aging (7e ed., p.197-198). Londres, Angleterre : Academic Press

Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada. (2013). Étude : aperçue statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Repéré à http://www.securitepublique.gc...

Dell, C., Sinclair, R. et Boe, R., Caractéristiques des femmes d'âge adulte purgeant une peine fédérale au Canada. Tendances de 1981 à 1998, Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, 2001.

Flynn, E. (2002). «Life at the margins: Older Women Living in Poverty». Dans Figueira - McDonough, J. et Sarri, R. C., Women at the Margins: Neglect, Punishment, and Resistance, (p. 203-227) New York, NY: The Haworth Press.

Greiner, L. et K. Allenby. (2010) Profil descriptif des délinquantes âgées, Rapport de recherche R-229, Ottawa (Ontario), Service correctionnel du Canada.

Langis, G. (2012) Une retraite rose bonbon et bleu ciel pour les Québécoises et Québécois. Vie et Vieillissement, 10(1), 36-41.

Martel, L. et Gaymu, J. (2012). Vers une homogénéisation des situations démographiques des hommes et des femmes âgées? Vie et vieillissement, 10(1), 4-11.

Michel, S., Gobeil, R. et McConnell, A. (2012). Délinquantes âgées incarcérées : Besoins en soutien social et en santé. Rapport de recherche, R275. Ottawa (Ontario), Service correctionnel du Canada.