Porte Ouverte Magazine

Vieillir et mourir en prison : Refuser l'inacceptable

By David Henry,
Coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Paroles d'intervenants : la réinsertion sociale, ça fonctionne !

Entrevue avec Stéphane Laurence, coordonnateur du Service Oxygène.

S'appuyant sur le droit de chacun de vivre dans la dignité et le respect, le Service Oxygène offre son aide aux délinquants âgés (50 ans et plus) qui sont incarcérés dans un pénitencier fédéral du Québec ou qui ont été libérés dans la communauté. Le Service Oxygène incite les détenus et ex-détenus âgés à participer activement à leur réintégration en communauté en les dirigeants vers les services et les programmes disponibles en communauté. Environ 28 places dans des appartements « satellites », situées dans trois résidences différentes (Léo's boys, Jacqueline Verrette et Claude Lebel) sont offertes pour les hommes âgés de 50 ans et plus qui servent une sentence-vie (ou une longue sentence d'incarcération) et demeurant sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada (SCC).

De plus, le Service Oxygène est en mesure d'offrir des services de support, d'accompagnement et de référence à environ une douzaine d'ex-détenus âgés dans la communauté (notamment au niveau du système de santé). Finalement, le Service Oxygène offre également ses services directement dans les établissements pénitentiaires auprès des détenus âgés durant leur sentence, notamment au niveau de l'évaluation en vue d'intégrer un appartement « satellite ». Tous ces services sont offerts dans un climat de collaboration avec les agents de gestion de cas du SCC que ce soit en établissements ou en communauté. Ainsi, le Service Oxygène aide chaque individu à préparer la prochaine étape de sa vie: libération, « cascading », autonomie en communauté, transfert dans une autre ressource, etc.

Stéphane Laurence est le coordonnateur du Service Oxygène depuis environ un an. Stéphane est entré dans le domaine de la réinsertion sociale par le biais des cercles de soutien et de responsabilité. Mais « l'opportunité de créativité autour de la réinsertion sociale était beaucoup plus présente ici. Gilles Thibault (ancien coordonnateur du Service Oxygène) a été mon mentor avant de rentrer en poste. Moi, je n'ai pas fait de temps contrairement à Gilles, j'avais donc besoin de comprendre plusieurs choses reliées à la détention ». S'ajoute au poste de coordonnateur, un poste d'animateur occupé par Daniel Benson qui lui connait bien le milieu carcéral et même de l'intérieur puisqu'il purge une sentence-vie.

Les besoins spécifiques de cette clientèle

« Les besoins sont différents pour chacun, c'est important d'évaluer chaque gars, d'essayer de voir où sont ses faiblesses et ses forces, de les enligner et surtout de les motiver. Quand tu es en prison, tu penses que dehors ça va être plus facile… mais jusqu'à présent aucun résident ne m'a dit que c'était plus facile de vivre dans la communauté qu'en prison. Il y a tout un remodelage qui doit être fait pour s'acclimater à la communauté et ils ont perdu cet état d'esprit. C'est un travail au quotidien qui n'est pas de l'intervention structuré à proprement parlé… Tu ne peux pas intervenir avec le gars de la même façon que son agent de libération ou que son psychologue le fait. On veut être un pair aidant, on ne se place donc pas au même niveau. »

« Mais on travaille en transparence avec tous les acteurs institutionnels et on lui apprend à s'expliquer avec eux. Le partenariat avec le SCC est fluide et plus constructif car on leur démontre le sérieux de nos interventions. L'autre aspect, c'est de développer notre partenariat avec d'autres organismes comme la Société St-Vincent de Paul et les banques alimentaires, car il faut meubler et organiser nos trois maisons. On est aussi parfois la courroie de transmission avec l'aide sociale. Il faut les orienter quand ils ont besoin de vêtements, quand ils sortent du « pen » ils n'ont pas beaucoup de stock. Le but est de redonner des responsabilités aux résidents, on les encadre dans cette démarche. »

« Le premier besoin de cette clientèle est l'hébergement, ce sont des personnes qui n'ont aucune ressource et souvent ils n'ont plus de contact avec leur famille. Leurs amis possèdent des casiers judiciaires ainsi, ils ne peuvent pas légalement les contacter. On est la dernière alternative avant la Maison du père. »

« Le deuxième besoin est de l'ordre de la gestion du stress, de l'anxiété et de l'isolement. Nous essayons de contrer cette sorte de dépression liée à la libération, liée également à une perte de repère. Nous cherchons les envies de la personne et on voit comment on peut les combler. Pour eux, c'est le stress de l'inconnu : comment vais-je faire pour rencontrer de nouveaux amis ? En hébergement, on peut travailler tout de suite sur cet aspect. Par contre, quand je rencontre des gars qui sont complètement isolés dans la communauté, leur réinsertion sociale est beaucoup plus longue, car ils vivent une forme d'abandon de la part de la communauté comme citoyen. Déjà, les personnes âgées ont parfois cette vision d'eux-mêmes, alors imaginez une personne âgée, mais qui vient de faire 30 ans d'incarcération… il faut reconstruire leur confiance. Il faut leur expliquer comment fonctionner dans la société (comment se servir d'une carte bancaire, comment prendre un rdv médical, etc.). Il faut les amener à voir que même s'ils ne comprennent plus comment la société fonctionne, c'est quand même beaucoup mieux que d'être au pénitencier. Il y a toujours cet enjeu : parfois la personne "était quelqu'un en dedans" et il était moins isolé. Mais si tu étais capable d'être quelqu'un à l'intérieur du pénitencier, tu seras capable d'être aussi quelqu'un à l'extérieur ».

« Je me rends compte que ce n'est pas parce qu'ils vivent des échecs et retournent parfois en détention, pour des bris de conditions par exemple, qu'ils reculent nécessairement… Je pense que c'est correct qu'ils s'accrochent les pieds pour prendre conscience d'où ils viennent. Quand ils ressortent, ils voient les erreurs qu'ils ont commises et surtout ils réalisent comment ils pouvaient être bien à l'extérieur, dans la communauté ».

Changer d'état d'esprit

Il s'agit d'un homme âgé de 73 ans qui a purgé une sentence d'environ 20 ans d'incarcération et qui se débat contre un problème d'alcoolisme sévère. Il vit dans la communauté depuis plusieurs années et il a beaucoup « joué au yoyo » (alternance de périodes de consommation, retour en détention, nouveau séjour dans une maison de transition, retour en communauté… jusqu'à une nouvelle période de consommation, etc.). Cette dynamique était installée depuis plusieurs années.

« Quand je l'ai rencontré, il y a environ un an, il venait d'être retourné en dedans. J'ai donc essayé de voir avec lui pourquoi il vivait cette situation d'échec et qu'il se remettait toujours à consommer. La première chose qu'il a identifiée comme problématique, c'était le stress d'être complètement seul. Il vivait dans un CHSLD privé et il n'avait pas beaucoup d'affinité avec les autres résidents. Je me suis demandé si le voir un petit peu plus souvent aller changer les choses… On a fêté son année de sobriété au mois de mars et il n'a pas été remonté au pénitencier depuis ce temps-là. » 

« Il a appris à mieux gérer son budget. Il s'est également responsabilisé sur son état de santé. Depuis, qu'il ne boit plus et il sent mieux physiquement. Quand il se sent seul, il peut toujours m'appeler, nos téléphones sont ouverts 24h sur 24. Il s'est impliqué dans son groupe de personnes âgées au CHSLD notamment au niveau de la danse. Quand il consomme, je sais aussi que c'est en lien avec son délit car c'est un crime qu'il ne se pardonne pas… Aujourd'hui, il comprend que la consommation n'est pas une bonne manière de fuir son passé. C'était aussi peut-être un désir de réduire son temps de vie étant donné ses nombreux problèmes de santé, c'était du sabotage en quelque sorte ».

« Maintenant, il m'appelle, non seulement pour me donner des nouvelles, mais aussi parce qu'il a le goût de sortir et de voir du monde. Avant, je le rencontrais dans sa chambre ou autour de sa maison mais maintenant, il veut sortir. On va prendre un café, il parle avec le serveur et avec les gens autour. Il a un esprit beaucoup plus ouvert et a changé d'état d'esprit, car il n'a plus la peur de retourner au pénitencier… Il a même repris contact avec des membres de sa famille. Il va passer des séjours au chalet de son père, la consommation ne devient plus une option pour lui, il profite de la vie. On a beaucoup travaillé avec les agents du SCC car il devait se déplacer très loin pour voir son agent ou faire ses tests de dépistage mais finalement compte tenu des progrès réalisés, les visites se sont espacées. Aujourd'hui, le lien de confiance est si fort qu'il m'a déjà confié qu'il serait capable de venir me voir avant de reconsommer ou de reperdre pied ».