Porte Ouverte Magazine

Vieillir et mourir en prison : Refuser l'inacceptable

By Gilles Thibault,
Ex-coordonnateur du Service Oxygène

Le Service Oxygène : Quelle belle expérience!

Au début des années 2000, le Service Option-Vie arpentait déjà depuis quelques années les corridors des pénitenciers. Lors de nos réunions d'équipe, nous revenions souvent au même questionnement : comment se fait-il qu'il y ait autant de personnes âgées à l'intérieur des murs et que pour la plupart, nous les ayons côtoyées il y a dix, vingt ou même trente ans. Dans les faits, certains d'entre eux s'étaient vus octroyer une libération conditionnelle à dix, quinze ou même vingt reprises, mais leur libération avait été révoquée à chaque fois, non pas parce qu'ils avaient commis un crime, mais parce qu'ils avaient enfreint une condition de leur libération. Il faut dire que lorsque l'on a passé autant d'années en prison et que l'une des conditions est de ne pas parler à une personne qui a un casier judiciaire, il ne reste plus beaucoup de monde que l'on connaît et avec qui nous pouvons discuter.

C'est à cette époque (2005) que Michel Gagnon, qui supervisait les intervenants du Service Option-Vie, a réussi à obtenir, du Service correctionnel du Canada, un petit financement pour une initiative que nous avons décidé d'appeler Service Oxygène. Deux postes, un temps plein et un demi-temps, furent ainsi créés. Claude Durand et Solange Blanchard, deux bénévoles au service correctionnel, furent engagés pour mettre en place les premiers jalons de cette nouvelle initiative. L'idée était de favoriser la sortie plus rapide des contrevenants âgés des pénitenciers et des maisons de transition du Québec. Ces deux nouveaux intervenants devaient se familiariser avec les ressources pour personnes âgées qui existaient déjà dans la communauté et développer de nouvelles ressources afin de faciliter leur réinsertion sociale.

Il est bien évident que la clientèle judiciarisée âgée a des besoins qui leur sont propres en fonction de leur âge. Selon notre expérience, ce sont souvent des personnes institutionnalisées, sans ressource familiale et sans repère. Il nous semble donc improbable d'incarcérer des personnes pendant vingt-cinq ans et croire qu'elles pourront réintégrer la société facilement. Durant les vingt dernières années, chaque fois que j'ai parlé devant un auditoire, j'ai raconté que la pire période de ma vie n'avait pas été mon incarcération, mais ma réinsertion dans la société. En effet, c'est après mes dix ans d'incarcération que j'ai eu à surmonter mes plus grands défis alors, je n'ose pas imaginer ceux que j'aurais eu à relever après vingt-cinq ans de détention.

En 2006 mon patron, Michel Gagnon m'a demandé si j'accepterais de relever un nouveau défi, soit celui d'être intervenant pour le Service Oxygène. Selon moi, j'avais un atout de taille me permettant de remplir ce défi. Lors de mon expérience dans l'équipe du Service Option-Vie, j'ai constaté qu'il m'était plus facile d'établir des liens de confiance avec les détenus, puisque j'étais encore considéré comme « un gars de la gang » à leurs yeux. De plus, puisque je suis connu par les directeurs et directrices des pénitenciers ainsi que par le personnel des maisons de transition, cela faciliterait les communications avec ces derniers. Finalement, lorsque j'ai accepté le poste, j'ai également fait, à quelques reprises, des rencontres d'informations dans des bureaux de libération conditionnelle, afin que les agents comprennent bien mon rôle au sein du Service Oxygène.

Durant les deux années qui ont suivi, j'ai mis beaucoup d'efforts afin de trouver des logements convenables pour ceux qui arrivaient à leur libération conditionnelle totale. Je trouvais un appartement, les meubles et les accessoires afin de faciliter leur réinsertion. Malheureusement, il est arrivé à plusieurs occasions qu'après un ou deux mois, le client s'isolait, se désorganisait, consommait et retournait, soit en maison de transition ou directement au pénitencier. Je retournais alors à l'appartement, je ramassais tout ce que je pouvais et ensuite, je l'entreposais dans mon garage ou au sous-sol de la Maison St-Léonard afin qu'un autre client puisse s'en servir.

En 2008, Michel Gagnon et moi avons eu une discussion par rapport au problème de la porte tournante. Pourquoi des personnes qui avaient purgé dix, vingt ou même trente ans étaient-elles incapables de s'enraciner dans la communauté? Après discussions, nous en sommes venus à tenter une expérience. Nous avons décidé de regrouper les hommes judiciarisés afin de recréer la « wing », un endroit où la condition de non-association n'existe pas. Si moi je pouvais être un pair aidant, ils pourraient sûrement l'être entre eux. Ainsi sont nés les premiers appartements satellites du Service Oxygène, la Maison Léo's Boys. À cet endroit, les hommes contrevenants seraient chez eux, dans leur chambre, où personne n'aurait accès, mais où ils partageraient des aires communes. La maison fut un réel succès. Les hommes se sentirent moins isolés et leur séjour dans la communauté fut plus long. J'ai alors eu la certitude que ce genre de ressource était LA solution.

Un jour, Paul, un résident souffrant d'un cancer, se retrouva à l'hôpital pour recevoir des soins de santé. Je lui rendis visite, comme à l'habitude, et il me dit que le médecin lui avait annoncé qu'il serait transféré dans le secteur des soins palliatifs. Il me dit : « Gilles je ne veux pas aller aux soins palliatifs, pour moi c'est la prison. Je veux aller mourir chez nous à Leo's Boys ». Je lui ai expliqué qu'il fallait que j'en parle aux autres, car il s'agissait là d'une situation particulière. Je suis donc allé rencontrer les résidents de la maison pour leur parler de la demande de Paul, tout en ne minimisant pas ce qui pourrait se produire. À l'unanimité ils me dirent : « amène-nous-le, on va en prendre soin ». Ils l'ont si bien fait, qu'il a vécu plusieurs mois de plus, entouré et soutenu par ses pairs. J'ai été, une fois de plus, témoin des bénéfices remarquables de ce type de ressource.

Nous avons décidé de prioriser les places des appartements supervisés, aux sentences-vie âgées et sans ressource, mais cela a rapidement engendré une pénurie. En 2009, une occasion se présente à nous. Des locaux sont disponibles à la location au deuxième étage d'un presbytère. L'organisme Neodep (nouveau départ) déménage du deuxième étage, au premier étage pour y installer un centre de jour afin d'y accueillir une clientèle institutionnalisée, médicamentée et souffrant de problèmes de santé mentale.

On décide de louer l'étage et d'héberger le même type de clientèle qui fréquente l'organisme Neodep. Nous offrons ainsi quatre belles chambres qui feront quatre personnes heureuses. Quelques années plus tard, on récupéra également le premier étage et nous prenions en charge le centre de jour que nous installons au sous-sol. Ainsi, quatre places supplémentaires furent créées. Donc nous comptons maintenant, huit chambres et un centre de jour pour une clientèle dont la seule option était l'itinérance au centre-ville à leur libération. On venait de sauver huit personnes ayant une problématique de santé mentale, non seulement de l'itinérance, mais aussi d'un retour assuré au pénitencier.

En 2011, nous entendons parler d'une congrégation religieuse qui quitte une de leurs maisons et je décide d'aller la visiter. C'est le coup de foudre. Les sœurs retraitées qui habitaient la maison sont prêtes à tout laisser sur place : appareils ménagers, rideaux, literie, coutellerie, etc. Huit chambres meublées, quelle aubaine! Le seul petit hic, le prix : 430 000 $ ! Je décide d'aller en parler à une amie, Jacqueline Verrette, bénévole au Service correctionnel du Canada depuis deux décennies. Elle accepte d'acheter l'immeuble et de nous en confier la gérance. La Maison Jacqueline Verrette devient alors, le troisième maillon de la chaîne des Appartements satellites Oxygène de la Corporation Maison Cross Roads. Après quelques réparations mineures, nous avons réussi à augmenter le nombre de places de la maison, passant de huit à onze. Actuellement, vingt-huit personnes habitent les Appartements satellites Oxygène et plus important encore, un très faible pourcentage des résidents retourne derrière les barreaux.

Durant les sept années travaillées pour le Service Oxygène, il s'est passé bien des choses, mais il serait trop long de toutes vous les raconter. Malgré que, j'étais le seul intervenant à temps plein, je me sentais épaulé par les agents de libération conditionnelle des différents bureaux à travers le Québec. Une partie de mon travail consistait à faire comprendre aux clients que ces personnes étaient là pour les aider à se réintégrer dans la communauté.

À travers ces années, avec l'aide de Michel Gagnon, on a construit un réseau de ressources résidentielles alternatives qui mérite, non seulement, de survivre mais également de se développer. Il faudra que le service correctionnel réalise qu'il est beaucoup plus payant d'appuyer davantage ce type d'initiatives que de payer des agents correctionnels pour escorter des personnes âgées dans les hôpitaux. Il faudrait aussi trouver un moyen de s'assurer que plus personne ne décède en détention. Bien sûr, il y a le groupe CADEP (comité accompagnateur des détenus en palliatif), un groupe de bénévoles qui visitent des détenus mourants, mais il faudrait davantage de services offerts à cette clientèle. L'idéal serait d'avoir plus de pairs aidants qui puissent travailler auprès des personnes âgées, comme l'ont été les intervenants du Service Option-Vie. Le contact et le lien de confiance se font de manière plus naturelle lorsque l'intervenant a lui-même vécu une période d'incarcération.

Paul est un bel exemple. Il a vécu sept mois chez lui, à Leo's Boys, avant de mourir dans la dignité. Combien cela aurait-il coûté au service correctionnel? Je leur demande de ne pas rater la chance de faire grandir cette ressource. Je suis fier d'avoir fait partie de la naissance du service Oxygène et je me sens privilégié d'avoir pu aider autant de personnes. Tous ceux qui travaillent en relation d'aide vous diront la même chose.