Porte Ouverte Magazine

Vieillir et mourir en prison : Refuser l'inacceptable

By Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu,
Fondateur de l'Association des Familles de Personnes Assassinées ou Disparues (AFPAD)

L'évolution des droits des Victimes d'Actes Criminels (VAC) dans notre système de justice

(Note de l'éditeur) Contacté lors de la préparation du dernier numéro de la revue qui avait pour thème Quelle place pour les victimes dans le système de justice ? (Porte Ouverte, vol. XXVI, numéro 2), le sénateur Pierre-Hughes Boisvenu avait décliné notre invitation par manque de temps. Cet article est sa contribution à la réflexion sur le sujet.

En juin 2002, ma famille était confrontée à un drame terrible, celui de perdre notre fille Julie aux mains d'un prédateur sexuel récidiviste. Ce drame allait changer non seulement ma vie, mais celles de tous les membres de ma famille. Dans pareille situation, les victimes collatérales sont nombreuses. Ainsi, dans les 12 mois suivant un tel évènement, la moyenne de divorce se situe à 80%, le taux de suicide - chez les pères en particulier - est près du double de celui de la population en général et le taux de décrochage scolaire est deux fois plus élevé que celui habituellement constaté dans cette population. Suite à un assassinat, les proches de la victime n'étaient pas considérés par la loi de l'IVAC et les familles étaient laissées à elles-mêmes.

Les victimes d'actes criminels ont commencé à prendre la parole il y a 10 ans à peine. Malheureusement, plus elles s'exprimaient, plus elles constataient le gouffre qui séparait leurs droits (lire « absence de droits ») de ceux des criminels, au sein de notre système de justice.

Ce constat les a amenées à s'organiser pour revendiquer de meilleurs services, ainsi que la reconnaissance de droits fondamentaux, notamment celui de prendre la parole. En 2002, une famille dont un proche était assassiné recevait en tout et pour tout un chèque de 600$ du gouvernement du Québec : ce montant devait couvrir les frais d'enterrement de leur bien-aimé. Le gouvernement fédéral n'offrait, quant à lui, aucun service aux victimes, puisque cette aide était exclusivement de compétence provinciale. Encore aujourd'hui, certaines provinces n'offrent toujours aucun service aux victimes - ou en offrent le minimum - et quatre provinces - dont le Québec - offrent de bons services aux victimes et leurs familles.

Avec l'arrivée du parti conservateur au pouvoir en 2006, les revendications des victimes ont vraiment trouvé un terreau fertile : le gouvernement s'est engagé à défendre et à reconnaître des droits aux victimes d'actes criminels, tout en leur octroyant une place prépondérante dans le système de justice canadien. C'était la première fois dans l'histoire politique du pays qu'un gouvernement s'engageait à défendre d'abord les droits des victimes.

L'Association des Familles de Personnes Assassinées ou Disparues (AFPAD) a été créée au même moment que l'arrivée du gouvernement conservateur au niveau fédéral : la porte était désormais ouverte aux douze demandes de l'association, et le dialogue était enfin engagé afin de faire progresser positivement les droits des victimes d'actes criminels.

Près d'une décennie plus tard, le chemin parcouru est remarquable : beaucoup de changements législatifs ont été apportés, ou sont sur le point de l'être. Mais de nombreux autres seront nécessaires pour que les droits des victimes soient égaux à ceux de leurs criminels.

Voici les plus importants changements apportés par le gouvernement conservateur :

  • Réforme du système carcéral canadien et de la Commission des libérations conditionnelles; 
  • Adoption de peines plus sévères contre les prédateurs sexuels et les pédophiles récidivistes; 
  • Fin de l'obtention automatique des pardons; 
  • Abrogation de la Clause de la dernière chance dans les cas de meurtres au premier et deuxième degré; 
  • Sentences consécutives dans les cas d'homicides multiples et d'agressions sexuelles contre les enfants; 
  • Sentences plus sévères contre des mineurs qui commettent des crimes graves; 
  • Fin des libérations conditionnelles automatiques (au 1/6 et au 2/3); 
  • Soutien financier pour les parents dont un enfant est assassiné ou est porté disparu; 
  • Aide financière pour les groupes d'aide aux victimes; 
  • Adoption d'un registre national des personnes disparues; 
  • Adoption d'un registre public des prédateurs sexuels dangereux et meilleur contrôle post-sentences des criminels dangereux; 
  • Adoption d'une Charte des droits des victimes d'actes criminels.

Au niveau provincial, l'aide apportée aux victimes s'est grandement améliorée : le Québec fait maintenant office de leader au Canada dans ce domaine.

Les actions de l'AFAPD ont été menées sur plusieurs fronts :

  • Amélioration des services d'aide de première ligne aux familles des victimes; 
  • Protection d'emploi des parents dont un enfant est assassiné ou disparu; 
  • Adoption de lois plus rigoureuses et plus sévères envers les récidivistes; 
  • Réformes du système carcéral et du système des libérations conditionnelles; 
  • Contrôle accru des criminels libérés considérés dangereux; 
  • Reconnaissance de droits fondamentaux pour les victimes d'actes criminels.

En tout, depuis une décennie, l'AFAPD a fait adopter près d'une vingtaine de lois et réformes, tant au niveau fédéral que provincial. La première mesure d'aide financière nationale, au niveau fédéral, a été adoptée en 2012 par un gouvernement conservateur. Cette mesure s'adresse aux parents dont un enfant est assassiné ou a disparu. De plus, le gouvernement a augmenté substantiellement l'aide aux groupes de victimes, afin que ceux-ci offrent de meilleurs services aux victimes.

La reconnaissance du gouvernement fédéral de la nécessité de donner la parole aux victimes et de les intégrer dans notre système de justice se traduira sous peu par l'adoption d'une Charte des droits des victimes. Cette charte permettra, un jour, peut-être, de reconnaître la réciprocité entre les provinces, en ce qui a trait à l'aide aux victimes.

Il est important de rappeler que la place des victimes dans le système de justice est injustement considérée par les professionnels qui œuvrent pour la défense des criminels comme une intrusion inutile. Selon eux, les victimes sont une nuisance au déroulement adéquat d'un procès. La Charte canadienne des droits et libertés compte 19 articles traitant des droits des criminels ou des présumés criminels alors qu'aucun article, de cette même Charte, ne traite des droits des victimes si ce n'est l'article lié à la protection de celles-ci.

La Charte des droits des victimes, actuellement à l'étude devant la Chambre des Communes, est portée par le projet de loi C-32 (Loi sur le droit des victimes). Cette Charte reconnaîtra quatre droits fondamentaux autour desquels les lois fédérales devront s'harmoniser:

Droit à l'information

Les victimes auront droit à de l'information générale sur le système de justice pénale et sur les services et programmes qui leur sont offerts, ainsi qu'à de l'information précise sur les progrès de l'affaire, y compris des renseignements sur l'enquête, la poursuite et la détermination de la peine imposée à la personne qui leur a fait du tort.

Droit à la protection

Les victimes auront droit à ce qu'on tienne compte de leur sécurité et de leur vie privée, et ce, à toutes les étapes du processus de justice pénale, notamment en prenant les mesures raisonnables et nécessaires pour les protéger contre l'intimidation et les représailles; elles pourront en outre demander à ce qu'on ne dévoile pas leur identité publiquement.

Droit à la participation

Les victimes auront le droit de transmettre leur opinion sur les décisions que rendront les professionnels de la justice pénale, ainsi que le droit qu'on en tienne compte aux diverses étapes du processus. Elles auront également le droit de présenter une déclaration.

Droit au dédommagement

Les victimes auront le droit de voir la cour examiner la possibilité qu'un dédommagement leur soit versé pour toutes les infractions pour lesquelles il est facile de calculer les pertes financières.

Le gouvernement fédéral financera la mise en œuvre de la Charte des droits des victimes à même les ressources existantes, ainsi qu'au moyen de nouvelles ressources fédérales.

Une étude, publiée en 2011 par le ministère de la Justice du Canada, a estimé le coût total annuel des impacts de la criminalité à 99,6 milliards de dollars, dont 83 % sont assumés par les victimes. Les pertes subies par les victimes étaient de tout genre: perte de leurs biens, de leur santé physique ou psychologique, d'un emploi, etc.

Au lendemain de l'adoption de la Charte des droits des victimes, le travail soutenu de ces dernières devra se poursuivre, afin de faire valoir leurs droits au quotidien. Au cours de la prochaine décennie, les cours de justice viendront préciser la portée de cette Charte, comme l'ont fait avant elles depuis 1982 les tribunaux pour les criminels, en interprétant la Charte canadienne des droits et libertés.

Alors, quelle est la place des victimes d'actes criminels dans notre système de justice? Beaucoup plus importante et mieux reconnue qu'hier et, sans aucun doute, tout aussi significative demain, puisque les victimes d'actes criminels et leurs familles ont pris la parole et la place qui leur revient, puisque leurs droits sont plus reconnus. Elles sont sorties de leur silence, cette prison qui les rendait trop passives et oubliées dans notre système de justice.

Avec l'adoption de la Charte des droits des victimes du gouvernement fédéral, je souhaite que le gouvernement du Québec emboite le pas avec l'adoption de sa propre Charte. Le Québec doit servir d'exemple pour les autres provinces canadiennes. Sa future Charte deviendra une reconnaissance officielle pour toutes les victimes et leurs familles, peu importe où aura eu lieu le crime.