Revue Porte Ouverte

50 ans d'implication

Par Éloïse Meunier,
Coordonnatrice aux programmes et aux communications par intérim de l'ASRSQ

À la rencontre de la relève

Le cinquantième anniversaire de l'ASRSQ se souligne également par la reconnaissance de la relève travaillant au sein de nos organismes communautaires à travers la province. Nous profitons de ces célébrations pour aller rencontrer trois membres de notre relève oeuvrant dans différentes régions du Québec afin de connaître les raisons qui les ont motivés à travailler dans le réseau communautaire. Nous les avons interrogés sur leur vision de la réhabilitation sociale afin de comprendre les défis et les projets qui les animent. Enfin, nous voulions confirmer que la relève nous réserve un bel avenir. C'est avec enthousiasme que nous vous les présentons.

Court portrait d'une relève prometteuse

Annie Morel, directrice générale du Service d'aide en prévention de la criminalité (SAPC) à Sherbrooke

Avec un baccalauréat en psychoéducation de l'Université de Sherbrooke, Annie Morel a entamé sa carrière dans le milieu communautaire en complétant deux stages au CRC La Traverse au cours de ses études. À ce moment, elle n'avait pas encore d'idée arrêtée sur le type de clientèle avec lequel elle voulait travailler. C'est lors d'une visite au centre de détention de Sherbrooke, que s'est établie sa première véritable rencontre avec la clientèle judiciarisée. Dès lors, elle a eu envie de poursuivre son expérience et son implication en intervention auprès de cette clientèle.

D'abord conseillère clinique pendant neuf ans au CRC La Traverse, puis directrice du suivi communautaire pendant un an, elle a par la suite obtenu le poste de directrice adjointe qu'elle a occupé pendant quatre ans. Depuis septembre 2011, elle assure la direction générale du SAPC.

Elle dit : « Dans mon travail, ce qui m'anime le plus c'est la clientèle. Même si je ne suis plus directement sur le terrain aujourd'hui, j'ai encore l'impression d'être proche de la clientèle. Elle fait partie du coeur des décisions que je dois prendre au quotidien, sinon la mission de l'organisme perdrait son sens. Il faut continuer de croire que l'humain est capable de changement. »

Samuel Côté, directeur adjoint de la Maison Radisson à Trois-Rivières

Bachelier en psychologie, Samuel Côté a également suivi une seconde formation universitaire plus spécifique à l'intervention psychosociale. Puis, son emploi à la Maison Radisson lui a permis de suivre une formation pour devenir praticien en programmation neurolinguistique (PNL).

C'est à la Maison Radisson qu'il a fait ses débuts comme intervenant dans le milieu communautaire où il a travaillé notamment à l'implantation du programme Père-enfant axé sur les habiletés parentales. Puis, il a été conseiller clinique pendant un an et a oeuvré six ans à la coordination des programmes spécialisés, toujours à la Maison Radisson. Depuis juillet 2011, il occupe le poste de directeur adjoint de cet organisme.

Attiré par les conditions salariales et la sécurité d'emploi d'un poste dans la fonction publique, Samuel quitte la Maison Radisson en avril 2011 pour occuper un emploi d'agent de libération conditionnelle au Service correctionnel du Canada. C'est un mois plus tard, qu'il reviendra dans le milieu communautaire. « La liberté d'action, la possibilité d'amener de nouvelles idées pour faire changer certaines choses, la place à l'innovation et la latitude dans les actions font partie des avantages de travailler dans le milieu communautaire », confie-t-il. C'est entre autres pour ces raisons que le réseau communautaire lui a valu sa préférence. Il ajoute : « Dans le communautaire, il y a beaucoup de place à l'intervention et le contact avec le client occupe une place primordiale. »

Jennifer Sirois, coordonnatrice clinique de la Maison Painchaud à Québec

Avec un baccalauréat en sciences de l'orientation, c'est d'abord son intérêt à travailler auprès d'une clientèle défavorisée liée à l'aspect juridique qui l'a guidé dans son choix de carrière. Puis, peu à peu, elle a orienté son parcours vers la réhabilitation. Elle a d'abord effectué un stage à la Maison Painchaud ainsi qu'à l'Établissement de détention de Québec. De plus, pendant ses études, elle a travaillé parallèlement dans le domaine de la sécurité puisqu'elle aimait être en mesure de désamorcer des situations de crise.

Elle occupe aujourd'hui le poste de coordonnatrice clinique à la Maison Painchaud depuis près de deux ans. Son travail consiste en la supervision des intervenant-es et elle le décrit comme « permettre aux intervenant-es de prendre du recul par rapport à leur intervention auprès des résidents1 qui leur sont confiés. Ainsi, il leur est plus facile d'avoir une meilleure vision d'ensemble de leur charge de travail.

Jennifer considère que le fait de travailler dans le réseau communautaire lui permet de faire ce qu'elle aime et le milieu répond à ses attentes professionnelles. Elle admet avoir déjà considéré le milieu communautaire comme un tremplin vers d'autres institutions, mais aujourd'hui, elle se dit comblée dans le travail qu'elle accomplit.

Leur vision de la réhabilitation sociale

Évidemment, chacun d'entre eux a une vision bien particulière de la réhabilitation sociale construite à partir de leur parcours, de leurs expériences professionnelles, de leur compréhension du mandat et de leurs valeurs. Toutefois, il apparaît clair que leur regard est porté vers une finalité commune. Dans son travail, Jennifer part du principe selon lequel, dans la vie, on ne peut pas donner ce qu'on n'a pas reçu. Elle considère qu'une partie de son travail consiste à promouvoir des valeurs prosociales et des valeurs de respect chez les résidents. « On veut montrer à nos résidents qu'il existe d'autres façons de faire que ce qu'ils ont pu apprendre et qu'ils peuvent trouver des bénéfices et des avantages dans ces nouvelles façon de faire. Dans une intervention basée sur le respect, même si parfois il y a récidive, notre impact fait quand même son bout de chemin. Il ne faut pas voir la clientèle comme des boulets. Il faut aller chercher leur potentiel et le rendre profitable à la communauté. La réinsertion sociale des délinquants, j'y crois. Et chaque jour de travail nous prouve que les changements sont possibles. La mission du CRC, j'y suis vendue », dit-elle.

« Notre rôle est de s'insérer dans un processus de changement. Pour nos communautés, la réhabilitation sociale est fondamentale. C'est croire qu'une grande majorité de gens peut se reprendre en main. » – Annie Morel, directrice générale du Service d'aide en prévention de la criminalité (SAPC)

Pour Samuel, la réhabilitation est aussi essentielle. « L'incarcération est peut-être nécessaire en tant que conséquence, mais elle ne permet pas de changement chez le délinquant ; elle a un effet limité dans le temps. La clientèle qu'on reçoit en transition est aux prises avec de multiples besoins : le logement, les soins de santé mentale, la dépression, l'employabilité, etc. On est là pour essayer de remettre tout ça en place. C'est une étape charnière », explique-t-il. Annie ajoute: « La réhabilitation, c'est donner l'occasion à un individu de faire de nouveaux choix et, pour un organisme communautaire comme le nôtre, c'est de pouvoir leur dire qu'on est là pour les soutenir dans leurs démarches. Notre rôle est de s'insérer dans un processus de changement. Pour nos communautés, la réhabilitation sociale est fondamentale. C'est croire qu'une grande majorité de gens peut se reprendre en main. Aussi, c'est souvent une question de facteurs qui se rencontrent, une question de timing. Lorsque les différents facteurs se rencontrent, on peut assister à des changements impressionnants. »

Samuel continue en disant: « En transition, on travaille beaucoup en fonction de la suite, pour préparer l' "après-transition". En travaillant autant dans le volet "soutien" que dans le volet "gestion du risque", il faut mettre en place des démarches pour que l'individu comprenne qu'il doit se diriger vers le changement. Travailler la structure délinquante nous permet de travailler sur des leviers qui nous font avancer. Un des plus beaux défis est d'apprendre à mobiliser un client non-volontaire. Le fruit de notre travail se trouve notamment dans le fait de réaliser qu'un individu a pu se développer un réseau social sain grâce à l'intervention d'un organisme communautaire. »

Lorsqu'il s'agit d'identifier des avantages à travailler dans le communautaire, Annie, Jennifer et Samuel s'entendent pour dire que la marge de manoeuvre, la flexibilité et la latitude dans le travail, autant au niveau des procédures que dans l'intervention, sont des aspects importants de leur appréciation de leur environnement de travail. Jennifer explique: « Évidemment, il y a toujours des procédures dont il faut tenir compte, mais la latitude dans le travail est un avantage important. Il y a beaucoup de place à l'originalité dans le communautaire. Et ça ne fait pas du communautaire un milieu moins professionnel. »

En discutant avec eux, il apparaît évident que la structure plus souple des organismes communautaires et la bonne volonté qui circule dans le réseau communautaire font en sorte qu'il existe une efficacité permettant une capacité de se mettre à jour plus facilement. Généralement, la proximité entre les membres du réseau communautaire représente une force pour le milieu communautaire; le sentiment d'appartenance est important. De toute évidence, la liberté qui existe pour amener de nouvelles initiatives, pour créer de nouveaux programmes répondant à des besoins particuliers de la clientèle fait partie des nombreux avantages de travailler dans le communautaire.

De beaux défis à relever

En abordant la question des défis qu'ils ont à relever dans leur travail, il est clair que la rétention du personnel est un thème qui revient chez les trois interviewés. Par exemple, le SAPC a réussi, au cours des années, à mettre sur pied des conditions de travail intéressantes pour ses employés et la directrice générale souhaite continuer de faire les efforts nécessaires pour travailler en ce sens: « Évidemment, en tant qu'employeur, nous avons toujours en tête l'augmentation des conditions salariales de nos employés. C'est un enjeu qui est préoccupant et important à nos yeux, mais nous sommes toujours tributaires du financement et on ne peut pas compter sur des garanties solides. Il faut trouver des moyens de retenir notre personnel, de motiver nos employés et de mettre en lumière les avantages de travailler dans le milieu communautaire. »

Pour Jennifer à la Maison Painchaud, un autre des grands défis est de satisfaire les exigences des partenaires et de parfois devoir effectuer une bonne gymnastique pour prendre en considération les nouvelles exigences de ceux-ci. Annie Morel partage également cet avis. « Il faut arriver à préserver l'essence de nos missions et ce, malgré le cadre et les normes qui peuvent parfois paraître contraignantes, dit-elle. Il faut continuer de travailler à la pérennité des programmes, dans un contexte où les revenus sont toujours incertains. Parfois, cela nous oblige à jouer de prudence et peut mettre un frein à l'innovation, mais il faut savoir préserver nos couleurs, notre créativité, tout en ne perdant pas de vue l'essence de nos missions et en continuant de trouver des moyens pour les faire valoir. » Jennifer renchérit: « Un des défis du communautaire est de continuer d'être principalement axé sur l'intervention. Parfois, on peut avoir tendance à perdre de vue notre vocation. Il faut continuer de maintenir notre centre d'attention sur l'individu auprès de qui on intervient. »

« Un des défis du communautaire est de continuer d'être principalement axé sur l'intervention. Parfois, on peut avoir tendance à perdre de vue notre vocation. Il faut continuer de maintenir notre centre d'attention sur l'individu auprès de qui on intervient. » – Jennifer Sirois, coordonnatrice clinique de la Maison Painchaud

Samuel aborde un défi plus personnel du rôle de l'intervenant. « En tant que thérapeute, le défi est de se rendre compte qu'on a une emprise limitée sur la clientèle, sur l'insight ou la prise de conscience chez un individu. En psychologie, on peut parler d'un "égoïsme sain" qui consiste à vouloir se sentir utile en aidant autrui, mais le sentiment d'impuissance peut devenir un piège. Dans notre métier, le stress de compassion est une réalité et je crois que c'est le plus grand défi des intervenants. Par rapport à la récidive, par exemple, il est facile, en tant qu'intervenant de se remettre en question. Il faut faire attention. »

Un regard tourné vers l'avenir

Ils sont tous trois d'avis que le contexte politique actuel, peu favorable à la mission des organismes communautaires travaillant auprès d'une clientèle judiciarisée adulte, amène de nombreuses incertitudes quant à l'avenir et au développement des services offerts par les organismes. « Il faut continuer à travailler ardemment dans un contexte politique peu favorable. Ce qui est difficile c'est d'avoir l'impression d'être à contre-courant. De toujours croire en ce qu'on fait, mais de continuellement devoir se battre pour le défendre. Dans le communautaire, on est encore au stade de devoir s'expliquer tandis qu'on devrait être rendu plus loin », explique Annie Morel. Samuel Côté ajoute : « Avec le vent politique actuel, il existe beaucoup d'incertitudes quant au financement à venir. Il va falloir se battre pour garder notre place, faire valoir notre expertise, développer et maintenir cette expertise malgré certaines coupures. » Pour Jennifer, c'est certainement l'alourdissement du fardeau, notamment en ce qui touche l'ajout de procédures et de formulaires entourant la prise en charge de la clientèle. « Cela se fait sournoisement et vient alourdir petit à petit nos actions. Il faut pouvoir garder un lien avec l'individu qui est au centre de nos actions, puisque c'est d'abord et avant tout celui pour lequel on travaille », dit-elle. Malgré ces préoccupations et ces inquiétudes, l'avenir leur réserve de beaux projets sur lesquels ils travaillent quotidiennement. Pour Annie, comme elle apprend encore à apprivoiser ses nouvelles fonctions de directrice générale, elle se fixe d'abord comme objectif, dans la prochaine année, de faire le tour de l'ensemble des dossiers. Sa première année de mandat consistera donc en un période de consolidation, en prenant les étapes une à la fois. Toutefois, une chose est sûre. Elle souhaite préserver la culture et l'esprit du SAPC, dans son essence. « On nous a légué un bel héritage, notamment dans les différentes façons de faire et j'aimerais poursuivre dans cette lignée et mettre ma couleur lorsque c'est possible. » À Sherbrooke, il s'agit aussi de mettre la priorité sur la relocalisation du CRC La Traverse, projet encore actif et qui a fait beaucoup parler à l'automne. Aussi, comme le SAPC est un organisme se situant beaucoup au niveau de la prévention de la criminalité, Annie Morel souligne qu'elle souhaite continuer de pouvoir étendre la portée de leur expertise à une clientèle qui n'est pas nécessairement judiciarisée ou criminalisée. « Il existe aussi une population très marginalisée, vivant dans la pauvreté, les traumatismes et la violence, explique-t-elle. Pourtant, ce ne sont pas des gens qui sont nécessairement criminalisés. Si on pouvait continuer d'élargir nos pratiques pour rejoindre plus de gens, même si c'est quelque chose qu'on fait déjà au SAPC, mais si on pouvait continuer de développer des projets en ce sens, ce serait gagnant. »

Pour la Maison Radisson, Samuel souhaite pouvoir ajouter une structure clinique incluant des techniques de PNL permettant de bonifier l'aspect clinique. Aussi, il mentionne qu'avec son équipe, ils travaillent à mettre en place un projet d'appartements supervisés et également la mise sur pied d'ateliers à l'établissement de détention de Trois-Rivières, en lien avec leur programme Père-enfant. À la Maison Painchaud, Jennifer et son équipe travaillent au développement d'un nouveau programme basé sur l'intégration de valeurs prosociales. À son avis, il demeure primordial de développer de nouveaux programmes afin d'être en mesure de s'adapter aux besoins changeants de la clientèle : « Il faut que les organismes puissent se réévaluer, se réinventer et évoluer avec la criminalité », conclut-elle.


1 La position de l'Office québécois de la langue française au sujet de l'utilisation du mot résident ou résidant vise à simplifier l'analyse qu'on en fait. Ainsi, l'orthographe résident ou résidente est proposée pour désigner « toute personne qui réside dans un lieu donné ». Quant à la graphie résidant, l'OQLF propose de la réserver au participe présent. http://www.oqlf.gouv.qc.ca/act...