Revue Porte Ouverte

Une approche différente : la justice réparatrice / restaurative

Par Robert CARIO,
Professeur émérite de criminologie, président de l'Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR)

La justice restaurative en France : premier anniversaire de l'entrée en vigueur de la Loi Taubira

Origines de la justice restaurative

La justice restaurative irradie la réponse sociale au crime depuis le début de notre humanité. Toutes les civilisations ont développé des pratiques régulatrices des conflits de nature criminelle en ayant le souci de garder au centre des dispositifs les protagonistes directs, infracteurs et victimes et/ou leurs proches, voire au-delà les membres de leur communauté d'appartenance. La confiscation par l'État se situe au tournant de l'an mille, pour des raisons de domination politique davantage que pour unifier les pratiques judiciaires dans le champ pénal. Il en est allé de même durant la période de colonisation de nombreux territoires et pays, toujours soucieux d'imposer aux populations autochtones, sous couvert de modernité, le droit continental (de common law ou de droit romain). Il demeure que partout, malgré ces velléités dominatrices, les modes ancestraux de régulation des conflits ont résisté dans ce qu'il est devenu commun de dénommer « l'infra justice ». En effet, autant l'anthropologie que l'histoire du droit criminel soulignent, de mieux en mieux, que le recours aux institutions officielles n'intervenait que lorsque le crime impliquait un dominant ou lorsque la régulation communautaire ne pouvait aboutir à aucun consensus. Il s'agit, notamment, des « médiations auteurs – victimes » un peu partout dans le monde, des « conférences du groupe familial » chez les Maoris d'Océanie, de la « palabre » en Afrique, des « cercles de sentence » des Premières Nations d'Amérique du Nord, de la « composition volontaire » ou des pratiques développées par les « apaiseurs sociaux » en France.

La réinvention de la justice restaurative

La crise contemporaine des systèmes de justice pénale, la redécouverte récente de la victime comme inévitable acteur du procès équitable ont conduit à (ré)envisager, dans les années 1970, les modalités traditionnelles de prise en compte du phénomène criminel, en termes de prévention des comportements potentiellement criminels, de répression des actes et de traitement des personnes concernées par le crime. La France, sur la base des programmes restauratifs réintroduits essentiellement dans les pays anglo-saxons, a suivi une même évolution, de manière parcellaire jusqu'à une date très récente. En ce sens, la dispense de peine ou de mesure (spécifiquement à l'égard des mineurs) et l'ajournement du prononcé de la peine sont intégrés dans le Code de procédure pénale en 1975 à trois conditions : que la réinsertion sociale de l'infracteur, la réparation indemnitaire de la victime et le rétablissement de la paix sociale soient acquis ou en cours de réalisation. De la même manière la médiation pénale comme alternative aux poursuites à l'égard des majeurs est adoptée en 1993. La même loi consacre, au bénéfice des mineurs, la réparation pénale. Le recours à ces modalités apparaît par ailleurs très nettement insuffisant : environ 30 000 par an pour chacune d'entre elles, pour environ 650 000 condamnations prononcées par les juridictions répressives.

La consécration législative de la justice restaurative

Sous l'impulsion de divers acteurs, issus de la société civile (comme l'Institut Français pour la Justice Restaurative, la Plateforme française pour la justice restaurative ; justicerestaurative.org) ou provenant d'institutions publiques, le législateur vient de consacrer la justice restaurative dans le droit criminel positif. Ainsi, selon le Code de procédure pénal applicable depuis le 1er octobre 2014 : « À l'occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l'exécution de la peine, la victime et l'auteur d'une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l'infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu'après que la victime et l'auteur de l'infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l'administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République ».

De manière inégalée jusqu'alors, la participation à une mesure (plus génériquement à une rencontre) restaurative peut être proposée (quel que soit leur statut) aux victimes et aux auteurs d'infractions pénales tout au long du processus pénal. Toutes les infractions sont concernées, l'évaluation scientifique démontrant de surcroît que plus les faits sont graves, plus le cheminement vers l'apaisement de chaque participant est important.

Les conditions de mise en œuvre de la justice restaurative

Parce que les participants sont considérés comme compétents pour réguler leurs propres affaires, en présence et avec l'accompagnement des professionnel(le)s formé(e)s, les mesures restauratives apportent, au sein du procès pénal, un espace sécurisé de parole et de dialogue. Identifier et exprimer les souffrances subies par chacun, favoriser la compréhension mutuelle de ce qui s'est passé (pourquoi ?) et rechercher ensemble des solutions disponibles pour y remédier (comment ?) conduit bien plus efficacement à la restauration la plus complète des personnes.

Mais pour que l'Œuvre de justice s'accomplisse dans le respect des droits humains et des principes de droit criminel la loi impose une série de garanties conditionnant le recours à une mesure de justice restaurative. L'exigence de la reconnaissance des faits par tous est formelle. Elle ne doit toutefois pas être assimilée à un aveu ou à une auto-incrimination mais à une absence de dénégation. Logiquement, une information complète sur la mesure envisagée doit être donnée aux participants éventuels : déroulement du processus et garanties dont ils disposent ; suites envisageables ; bienfaits susceptibles d'en être retirés et limites de leur participation. Le consentement exprès des participants à la mesure restaurative choisie, essentielle à son bon déroulement, est le gage de leur participation active. Constant tout au long du déroulement de la mesure, il est révocable à tout moment. Ce qui n'exclut en rien les effets réparateurs du processus en lui-même, nonobstant l'objectif initial de la rencontre.

Le respect de telles conditions, non négociables, exige que leur recueil soit effectué par un tiers indépendant formé à cet effet. Une telle formation ne s'improvise pas. Pour devoir posséder de solides connaissances disciplinaires propres, professionnel(le)s et bénévoles de la médiation/animation devront encore compléter leur formation de base par l'acquisition de connaissances sur les techniques d'écoute et d'entretien, l'animation de groupe, la spécificité des protocoles de mise en place et de suivi des mesures restauratives. Les membres bénévoles de la communauté devront également suivre une formation spécifique à leur rôle dans les dispositifs restauratifs requérant leur présence. L'animateur de la rencontre, en charge également de la préparation des participants, est le garant de son cadre et de son déroulement équitable, dignes et respectueux de chacun. Son indépendance se manifeste vis-à-vis des participants : co-partialité paradoxale et neutralité bienveillante. Elle provient encore de la gratuité de la mesure. Il demeure tout autant indépendant de l'institution judiciaire ou des administrations mandantes.

Ainsi, l'évolution amorcée par la Loi du 15 août 2014 manifeste une réelle convergence entre les objectifs de la justice pénale et ceux de la justice restaurative. En ce sens, la peine a dorénavant pour fonction « de sanctionner l'auteur de l'infraction ; de favoriser « son amendement, son insertion ou sa réinsertion », « afin d'assurer la protection de la société, [de] prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime ». Il s'agit bien là des fonctions assignées aux diverses rencontres restauratives : responsabilisation de tous en vue de leur réintégration dans l'espace social ; réparation globale de chacun des protagonistes, de leurs proches et/ou de leurs communautés d'appartenance ; prévention de la commission de nouvelles infractions de nature à conduire au rétablissement de la paix sociale.

Dans la mesure où aucune mesure de justice restaurative n'est visée en particulier, toutes sont donc éligibles, à l'appréciation raisonnée des praticiens formés pour déterminer, avec les participants eux-mêmes, la plus adaptée à la situation donnée : médiation pénale, médiation restaurative (après poursuites), réparation pénale à l'égard des mineurs, conférences restauratives, cercles restauratifs, rencontres détenus (ou condamnés) – victimes, cercles de soutien et de responsabilité (dédiés spécifiquement aux auteurs de violences sexuelles), cercles d'accompagnement et de ressources. La justice restaurative est bien en marche dans notre pays. Offrons-lui l'épanouissement qu'elle promet en privilégiant l'optimisme de l'action au pessimisme de l'intelligence. Par une rationalisation des coûts budgétaires, offrons-nous parallèlement les moyens de mesurer – scientifiquement – son effectivité et son efficacité, car le temps de la complémentarité pénale et restaurative est bien arrivé en France.

Les réalisations concrètes sur le territoire national

Avant même l'adoption de la loi du 15 août 2014, pour pallier les insuffisances – en nature et en diversité – des mesures de médiation pénale et de réparation, de belles expérimentations se sont développées dans notre pays, formellement organisées par des professionnels du travail social (au sens large). La première expérimentation a eu lieu en 2010 à Poissy, dans le cadre d'une session de Rencontres détenus-victimes (RDV), associant l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM), la Maison centrale de Poissy, le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) des Yvelines, l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) et quelques personnalités qui allaient créer quelques années plus tard l'Institut français pour la justice restaurative (IFJR). La session de six rencontres a concerné trois victimes et trois détenus, ne se connaissant nullement mais réunis en tenant compte de la similitude des actes commis par les uns et ceux subis par les autres. La seconde expérimentation s'est inscrite dans le cadre de cercles de soutien et de responsabilité, mis en place par le SPIP des Yvelines début 2014. Plusieurs autres rencontres restauratives sont en cours ou en voie d'être réalisées en 2015 et 2016 comme notamment : Rencontres condamnés-victimes en milieu ouvert à Pontoise, Paris, Pau, Lyon, Chambéry (RCV) ; en milieu fermé (RDV) à Poissy, Montpellier, La Réunion ; Cercles de soutien et de responsabilité (CSR) à Versailles, Bordeaux et Dax ; Cercles d'accompagnement et de ressources (CAR) à Versailles, Lyon. Des expérimentations en médiation restaurative (MR) devraient voir le jour au sein du Tribunal de Grande Instance de Pau, après poursuites et lors de l'application des peines, ainsi qu'à Valence. Il importe de souligner que de telles actions restauratives se déroulent dans le cadre d'un partenariat abouti entre les Services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et les associations d'aide aux victimes (AVV) fédérées au sein de l'Inavem. Il est plus que probable que les services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ayant aujourd'hui en charge les mineurs délinquants, rejoignent ce mouvement restauratif d'ampleur.

Pour conclure sommairement, les innovations législatives vont, à coup sûr, assurer la généralisation et la pérennisation des mesures que la justice restaurative promeut. D'autant plus que les évaluations disponibles, exceptionnelles en France moins à cause du peu de mesures mises en œuvre à ce jour que du désintérêt anachronique et indécent des universitaires et chercheurs relativement à la question criminologique (agressologique, victimologique et restaurative), sont prometteuses. Évalués scientifiquement, les sentiments des protagonistes convergent : avoir obtenu justice, ressentir un apaisement physique, psychique voire même psychosomatique, notamment. La reconnaissance offerte par le processus restauratif est soulignée par tous comme la condition d'un possible retour (ou sa consolidation) parmi les autres êtres humains, car avoir la chance de pouvoir donner son point de vue est réparateur, quelle que soit la gravité du crime. Magistrats et acteurs socio-judiciaires considèrent que la complémentarité entre les mesures de justice restaurative et celle de la justice pénale est parfaitement viable, vecteur d'humanisation, facteur de gain de temps pour tous. Ainsi socialisé, le désir de « vengeance vindicative et destructrice » s'estompe pour laisser place au partage, à la réciprocité et à l'intercompréhension. La peur du crime, comme expérience vécue, s'estompe à l'écoute des infracteurs, de la sincérité de leurs regrets et de leurs engagements pour l'avenir. Des coûts judiciaires, sanitaires et sociaux sont ainsi incontestablement épargnés. Il importe encore de remarquer – et ce n'est pas le moins important – que le taux de récidive est bien moins élevé, grâce à la responsabilisation subséquente du condamné. Prenant conscience qu'il appartient à la communauté, prête à l'accueillir après s'être acquitté de ses obligations, il mesure clairement que c'est l'acte qu'il a commis qui est stigmatisé comme inacceptable, alors que lui-même demeure une personne, ayant toute sa place parmi les autres êtres humains.