Nous avons été plongés, l’automne dernier, dans une des pires crises économiques et financières depuis la grande dépression de 1929. De nombreuses compagnies sont au bord de la faillite ou en processus de liquidation de leurs actifs. Les mauvaises nouvelles s’accumulent de jour en jour et le monde entier s’engouffre dans une récession de plus en plus profonde. Les experts économiques les plus chevronnés n’arrivent plus à prédire exactement quand surviendra une reprise de l’économie. Nous nageons dans l’incertitude la plus complète quant à ce que nous réserve l’avenir.
Cette crise de l’économie mondiale comporte des conséquences graves et parfois tragiques pour bon nombre de personnes et de familles : pertes d’emplois, chute importante de revenus, difficultés à rencontrer ses obligations financières, risque de perdre sa maison, difficultés à trouver un autre emploi de même niveau, perte de statut social, etc. Ces phénomènes favorisent l’augmentation du stress, l’exacerbation de conflits entre conjoints, l’adoption de comportements agressifs et l’apparition de dépressions majeures et d’autres problèmes d’ordre psychologique et/ou social. Tous les gens ne réagissent pas de façon semblable lorsque confrontés à une situation de crise. Pour plusieurs de nos concitoyens, la réaction sera le sentiment de n’avoir plus rien à perdre, d’être pris dans un engrenage où on a perdu le contrôle de sa vie, de perte d’estime personnelle, de perte de confiance totale en soi et dans les autres.
Cela nous amène à nous poser la question : est-ce que la crise économique peut avoir une incidence sur le phénomène de la criminalité? Nous constatons que, depuis quelques mois, les nouvelles annonçant des drames conjugaux, des actes criminels résultant de «coups de folie», des tueries spectaculaires et tragiques semblent être en hausse. Certains médias brandissent même le spectre d’une «rage de la récession». Plusieurs experts pensent que, cette fois-ci, ils n’exagèrent peut-être pas pour qualifier la corrélation entre crise économique et augmentation de la criminalité.
Le professeur Irwin Waller déclarait récemment à une journaliste : «Il y a une forte corrélation entre la criminalité et le cycle des affaires. Et oui, on peut craindre une augmentation de la violence domestique au cours des prochains mois en se basant sur ce qui s’est produit par le passé.1» Il existe des incidents totalement isolés, n’ayant aucun lien avec la crise, mais l’on peut s’attendre, selon Waller, à une hausse de crimes violents, de drames conjugaux et de vols de toutes sortes.
Cette augmentation prévue de la criminalité fera-t-elle avancer la cause de tous ceux qui prônent, depuis quelques années, la «ligne dure» en matière de justice criminelle? Peut-être, mais cette ligne de pensée commence à être de plus en plus difficile à défendre. Pourquoi? Pour les mêmes raisons que la criminalité risque d’augmenter : la crise économique et financière. En effet, celle-ci crée une situation telle que les administrations publiques, ayant adopté la ligne dure, n’ont plus les moyens de financer l’augmentation des dépenses liées à la justice pénale. La récession oblige également l’affectation des ressources financières à d’autres priorités. Dans ce contexte, le «discours réhabilitatif» reviendra-t-il à la mode? Peut-être pas entièrement, mais il risque d’y avoir une plus grande ouverture pour modifier des approches dépassées, répressives et onéreuses face au phénomène de la criminalité pour en favoriser d’autres reposant sur la prévention, le traitement, la réinsertion sociale et le partenariat avec les forces vives de nos communautés.
La récession aura des répercussions importantes sur la criminalité et le système de justice pénale. Comme le mentionnait, à la même journaliste, la psychiatre et professeure à l’Université d’Ottawa, Diane Koszycki : «Quand l’économie va mal, le stress augmente et c’est un facteur de risque de problèmes psychiatriques». Cela l’amène à anticiper une hausse du nombre de dépressions dans les mois à venir. Et, selon Waller, cette tendance pourrait être encore plus marquée à cause de la vitesse à laquelle a frappé la récession et de la force extrême du choc. D’après Koszycki, cela crée des conditions telles où «le soutien des proches est déterminant». Cela appelle à une plus grande solidarité, à une plus grande sensibilité au malheur et à la détresse des autres et à un engagement à agir. Comme le rappelle Waller : «Il faut être très attentif au moindre changement de comportement et surtout ne pas hésiter à en parler. C’est notre responsabilité sociale à tous et encore plus particulièrement maintenant». Quel éloquent appel à la solidarité sociale! Saurons-nous l’entendre et agir?
1 BALLIVY, Violaine. « Récession et violence vont de pair », La Presse, 6 avril 2009.