Revue Porte Ouverte

La déficience intellectuelle dans le système de justice pénale

Par Jennifer Cartwright,
ASRSQ

Voir plus loin que le crime

Pour Charles Perroud, tout commence lors d’un spectacle de Ben Harper au Centre Bell, en 2000. Sur la guitare du chanteur, il est écrit « Free Leonard ». Curieux, il fait une recherche sur internet et tombe sur l’histoire de Leonard Pelletier, un Autochtone incarcéré aux États-Unis depuis maintenant 33 ans… pour un meurtre qu’il n’a pas commis. « Je suis allé sur le site d’Amnistie Canada, et j’ai envoyé ma première lettre d’action! Puis je me suis impliqué sur le terrain quand je suis parti en Nouvelle-Zélande, l’année suivante ». Il est aujourd’hui responsable de la vie militante chez Amnistie internationale, section canadienne francophone.

L’organisme est composé de nombreuses coordinations formées de bénévoles ayant en commun un intérêt pour un pays ou une thématique. En plus de son travail, il se joint à celle sur la peine de mort, qu’il coordonne de manière bénévole. Puis, en 2004 se tient le Congrès national contre la peine de mort, lors duquel il apprend l’existence de sites offrant la possibilité de correspondre avec des détenus, principalement des condamnés à mort. « Je me suis intéressé à ça, j’ai écrit à quatre de ces personnes au Texas et c’est comme ça que ma correspondance a débuté. Maintenant, j’ai 16 correspondants incarcérés à travers le monde, principalement aux États-Unis - dont Leonard Pelletier - quatre Birmans emprisonnés en Thaïlande pour trafic de stupéfiants, un membre de gang condamné à vie en Afrique du Sud et un journaliste Chinois qui n’a toutefois pas le droit de me répondre. Ce qui m’a attiré, c’est qu’on traite toujours les détenus comme étant des irrécupérables alors qu’en lisant certaines histoires, tu te rends compte que rien n’est plus faux. Je considérais qu’ils avaient le droit d’être traitées considérés comme des humains et au-delà de ça, je me suis mis à militer avec certains d’entre eux. Je savais que si tu leur en donnes la chance, ils sont capables de contribuer à la société, même en étant derrière les barreaux. Par exemple, le cas de Stanley Williams Tookie1 a eu un impact très palpable. Il a toutefois été condamné à mort, et l’injection a mis plus de 35 minutes à le tuer ».

Recevoir de la visite leur donne une raison de vivre, de se battre, de changer. Ça leur prouve qu’ils peuvent encore contribuer à la société. Seuls, beaucoup se laissent dépérir.

Se rendre en prison

La suite logique de la correspondance s’impose, et il rend finalement visite à certains de ses correspondants. Sa première visite a lieu dans le couloir de la mort, au Texas. « En 1999, il y a eu une tentative d’évasion et depuis, ils ont coupé tous les « privilèges » qu’avaient les détenus auparavant. Ils sont vraiment isolés, il n’y a ni télévision, ni programme de travail, plus rien... C’était assez particulier, comme visite : j’ai passé une semaine à Livingstone, une ville de 5600 habitants où tout tourne autour de la prison. C’était la première fois que j’allais dans un pénitencier. Mais j’avais l’impression de connaître la place : j’ai tellement correspondu avec les gens que j’allais voir que je ne me retrouvais pas dans un endroit complètement nouveau. Je suis allé voir deux prisonniers pendant trois jours, j’ai passé au total une vingtaine d’heures avec eux. C’était comme si j’étais en train d’avoir une discussion avec un vieux chum, il ne manquait que la bière! Ce qui m’a le plus marqué, c’est de voir à quel point, lorsque les visiteurs des autres condamnés s’en allaient, ils semblaient se mettre à off. De voir à quel point notre présence auprès d’eux les garde humains. C’est tellement déshumanisant, les laisser pourrir en pensant au jour où ils vont se faire tuer! Au contraire, recevoir de la visite leur donne une raison de vivre, de se battre, de changer. Ça leur prouve qu’ils peuvent encore contribuer à la société. Seuls, beaucoup se laissent dépérir… ».

« Je ne le fais pas pour bien paraître, ni pour moi, mais vraiment pour eux, parce que je développe des liens avec ces personnes et parce qu’approfondir ces liens me permet de mieux militer avec eux, que ce soit au niveau de l’éducation, des conditions carcérales, ou pour donner un coup de pouce à certains qui se prétendent innocents. J’apprécie énormément l’expérience, qui m’alimente aussi dans mon travail. D’ailleurs, je pars cet été en Pennsylvanie rencontrer une femme condamnée à mort et trois détenus purgeant des peines à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle », ajoute en souriant celui qui a Martin Luther King tatoué sur l’épaule.


1 Cofondateur des Crips à l’âge de 17 ans, Stanley Williams Tookie a été déclaré coupable de quatre meurtres et condamné à mort en 1981, malgré qu’il ait toujours clamé son innocence. Au cours de sa détention, il connaît une véritable transformation spirituelle, renonce aux gangs, milite pour la paix et décide de consacrer sa vie aux enfants. Il publie neuf livres et est nominé cinq fois pour le Nobel de la paix et quatre fois pour celui de la littérature. Malgré tout, le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger, refuse de commuer sa peine et il est exécuté en décembre 2005.