Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : intervenir auprès des victimes, des proches et des agresseurs

Par Service correctionnel du Canada, région du Québec (SCC)

Délinquants sexuels : le SCC compte plusieurs moyens pour veiller à leur réinsertion sociale sécuritaire

Lorsque l'ASRSQ a approché le Service correctionnel du Canada (SCC) afin de participer à ce dossier, nous y avons vu une occasion de présenter aux lecteurs les réalisations et les défis du SCC en matière de délinquance sexuelle. «Porte ouverte» est une tribune privilégiée pour rejoindre les divers intervenants des milieux judiciaires et correctionnels ainsi que les citoyens qui s'intéressent à la réinsertion sociale. Le SCC reconnaît la nécessité de travailler conjointement avec de nombreux partenaires afin d'atteindre un but commun : la sécurité des collectivités par une réinsertion sociale réussie des délinquants. Encore récemment, le SCC a pu constater, lors d'un colloque organisé par le Regroupement des intervenants en matière d'agression sexuelle, la qualité de l'expertise et de l'engagement des professionnels d'ici. Le SCC est heureux de compter sur de nombreux partenaires, qui offrent des services complémentaires aux siens et qui favorisent la continuité de l'intervention auprès des délinquants engagés dans une démarche de réinsertion sociale.

La nature des délits commis par les délinquants sexuels et les conséquences importantes pour les victimes, leurs proches et la société soulèvent beaucoup de questions et de craintes. Le Service correctionnel du Canada (SCC) prend au sérieux le risque que peuvent représenter les délinquants sexuels et les inquiétudes qu'ils génèrent au sein de la population; les mesures mises en place pour répondre à leurs besoins reflètent d'ailleurs l'engagement du SCC à contribuer à la sécurité publique.

Le SCC compte plusieurs moyens pour veiller à la réinsertion sociale sécuritaire des délinquants sexuels dont il assure la surveillance. L'un de ses principaux moyens est son personnel qualifié dans l'évaluation et l'intervention. Les équipes travaillant auprès des délinquants sexuels proviennent de divers champs de spécialisation professionnelle, afin d'offrir les services les mieux adaptés pour répondre aux différents besoins des délinquants sexuels. Ainsi, ce sont des équipes interdisciplinaires qui gravitent autour des délinquants pour les supporter et les encadrer. Ces professionnels échangent fréquemment de l'information en plus d'être appelés à participer à différentes formations et colloque, dont celui du Regroupement des intervenants en matière d'agression sexuelle, pour maintenir un niveau de connaissance optimal.

Avant de préciser davantage les moyens dont dispose le SCC pour encadrer et aider les délinquants, voyons d'abord certains aspects de la délinquance sexuelle, car il s'agit d'un phénomène complexe. Il existe d'importantes distinctions entre les différents groupes d'agresseurs sexuels, mais également à l'intérieur même de ces groupes. Non seulement sont-ils différents quant à leur type de victime, leur type de délit et ce qui les a amené à les commettre, mais ils le sont également au plan du risque qu'ils peuvent représenter pour la population. Afin d'avoir une vision d'ensemble de ce type de délinquant, le tableau qui suit présente brièvement différents types de délits sexuels et le taux général de récidive s'y rattachant.

Par ailleurs, les données2 révèlent que dans la grande majorité (89 %) des délits commis à l'égard d'un enfant, le délinquant connaissait la victime. Dans le cas des agressions contre les adultes, la proportion diminue à 74 %, c'est-à-dire que dans 26 % des cas l'agresseur ne connaissait pas la victime. L'ensemble de ces informations reflète d'une part que chaque groupe a un niveau de risque qui lui est propre et, d'autre part, que les victimes potentielles sont bien différentes d'un groupe, voire d'un individu à l'autre. Devant ces disparités, l'intervention se doit d'être spécifique. Ainsi, les mesures d'intervention et de contrôle doivent varier pour s'adapter d'un délinquant à l'autre. Les recherches3 ont d'ailleurs démontré que, selon le type de délinquant sexuel, sa réceptivité à l'intervention, son niveau de responsabilisation et le niveau de risque qu'il représente, des mesures différentes devaient être établies pour favoriser une réinsertion sociale réussie.

Au début de la sentence

La prise en charge des délinquants sexuels par le SCC respecte cette prémisse. Le SCC accorde beaucoup d'importance au continuum d'interventions faites auprès des délinquants, de leur incarcération jusqu'au terme de leur liberté conditionnelle (expiration du mandat), et même au-delà. Par conséquent, afin d'optimiser l'utilisation du temps d'intervention, la prise en charge débute dès leur arrivée dans un pénitencier. En effet, un protocole d'évaluation structuré est mis en place afin d'évaluer chaque délinquant reconnu coupable d'un délit sexuel dans le cadre de la sentence actuelle ou antérieure. Ensuite, les mesures d'encadrement et d'intervention les mieux adaptées sont déterminées pour intervenir dans le cadre de cette problématique et gérer le risque de récidive. C'est ainsi que les délinquants sont orientés vers un pénitencier pouvant répondre à leurs besoins, tant au plan de l'encadrement que du traitement.

Le SCC offre une variété de programmes et de traitements qui tiennent compte des besoins et du risque évalués. Afin d'offrir des services de haut niveau, la gestion des programmes demeure à l'affût des recherches scientifiques dans le domaine, en plus d'être mise à jour et bonifiée régulièrement. Aussi, afin de maximiser l'impact positif de chacun des programmes, ceux-ci visent une clientèle cible. Les délinquants sont, par conséquent, orientés vers le(s) programme(s) répondant le mieux à leurs besoins et à leur niveau de risque.

Lors du passage en collectivité

Le niveau de risque que représente le délinquant, ainsi que ses besoins, déterminent l'encadrement qui lui sera imposé. Celui-ci va de l'imposition de conditions par la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) à la détermination d'une fréquence de rencontres entre le délinquant et son agent de libération conditionnelle. Ces rencontres permettent d'évaluer les progrès du délinquant face aux objectifs fixés et sa conformité aux conditions imposées. De plus, par le biais de contacts réguliers avec les tiers impliqués dans l'environnement du délinquant (sa famille, son employeur, sa thérapeute, les bénévoles, etc.), l'agent valide les informations transmises par le délinquant à l'égard de ses progrès et du respect de ses conditions.

Plus spécifiquement, différentes mesures d'encadrement et de contrôle sont à la disposition des équipes de surveillance pour s'assurer que le délinquant respecte les conditions et modalités de sa surveillance, dont des conditions supplémentaires – dites conditions spéciales – émises par la CLCC. Ces conditions spéciales permettent d'imposer aux délinquants, par exemple, l'assignation à résidence (obligation de résider dans une maison de transition), l'obligation d'informer son surveillant de toute nouvelle relation affective, l'interdiction de fréquenter certaines personnes ou certains endroits, l'interdiction de consommer de l'alcool et des drogues, etc. Les mesures disponibles pour intervenir et encadrer les délinquants sexuels sont nombreuses et diversifiées, pouvant ainsi être adaptées à chacun des cas. La vérification du respect de ces conditions s'effectue par des mesures très concrètes. Par exemple, des analyses d'urine sont administrées pour vérifier l'abstinence d'un délinquant face à la consommation de drogue et/ou d'alcool lorsqu'elle est en lien avec sa criminalité et qu'une condition spéciale lui interdit cette consommation. Par ailleurs, les délinquants doivent participer à un programme en lien avec leur problématique sexuelle dans le but d'assurer un continuum d'interventions en fonction du cheminement effectué au pénitencier. Ces programmes, accrédités nationalement, sont mis à jour afin de demeurer à la fine pointe des recherches scientifiques dans le domaine. Des partenariats avec des organismes spécialisés dans ce type de programmes permettent aussi d'avoir accès à du personnel impliqué dans la recherche universitaire de niveau doctoral. Soulignons ainsi le programme de traitement développé par de Centre d'étude et de recherche de l'Université de Montréal qui est offert par l'Institut de béhaviorisme-cognitif de Montréal, dont la collaboration avec l'Université de Montréal se poursuit depuis plusieurs années. De plus, un programme de traitement pharmacologique (hormonothérapie) est offert à certains délinquants afin de les aider à réduire l'amplitude de leurs pulsions sexuelles. Cette méthode d'intervention spécifique permet, dans certains cas précis, de mieux gérer le risque que représente un délinquant.

Les partenaires du SCC sont nombreux et ils contribuent grandement au filet de contrôle social entourant les délinquants sexuels.

D'autres mesures, telles le contrôle des heures de sorties et des lieux fréquentés, sont déterminées et mises place par l'équipe de surveillance. En effet, certains délinquants ont des heures de déplacement très limitées et parfois même, ils ne peuvent sortir sans être accompagnés. Des vérifications sont notamment effectuées pour s'assurer du respect de ces consignes. Les fréquentations des délinquants doivent également faire l'objet de vérification et d'approbation. La surveillance touche toutes les sphères de vie et d'activités de cette population. Au moindre indice de manquement, des vérifications sont effectuées rapidement afin de prendre les mesures nécessaires, le cas échéant. Ces mesures de surveillance des délinquants ne sont pas statiques et leur accès à la collectivité est graduel. Évoluant en fonction des progrès du délinquant vers la résolution de ses difficultés, ces mesures s'adaptent pour mieux répondre aux besoins et au risque représenté par le délinquant ainsi qu'à son évolution à l'égard des objectifs de son plan d'intervention. Ultimement, l'équipe de gestion de cas peut convenir de suspendre la libération d'un délinquant si aucun autre moyen n'apparaît suffisant pour protéger la société. Plusieurs autres outils et partenaires sont à la disposition des intervenants pour les appuyer dans la réinsertion et la surveillance de cette clientèle. Ceux-ci, chacun à leur façon, contribuent de manière indispensable à la sécurité publique en formant un filet de sécurité autour des délinquants sexuels en liberté conditionnelle. Par exemple, une équipe de surveillance du SCC intervient en dehors des heures habituelles de bureau auprès de délinquants ciblés. Ce type de surveillance impromptue permet entre autres de valider les déplacements des délinquants à toute heure. Au besoin, des actions peuvent être prises rapidement pour maintenir un niveau de risque acceptable lorsque les ententes initialement prises ne sont pas respectées. Aussi, afin de faciliter le travail avec les corps policiers, ou dans l'optique de mettre en place des stratégies de surveillance particulière, des agents de liaison avec les services correctionnels communautaires font également partie des équipes de gestion de cas. Ces agents sont issus de différents corps policiers et travaillent au SCC dans le cadre d'une entente d'échange de services. De plus, un programme de bénévoles, qui offre de l'accompagnement aux délinquants dans diverses activités au sein de la collectivité, est également bien implanté au SCC. Les services d'aumônerie et les Aînés autochtones constituent d'autres précieuses ressources pour aider les délinquants sexuels dans leur réinsertion sociale.

Les partenaires du SCC sont nombreux et ils contribuent grandement au filet de contrôle social entourant les délinquants sexuels. Les corps policiers, dont l'escouade des délinquants sexuels du Service de police de la Ville de Montréal, sont des partenaires majeurs et essentiels dans la surveillance des délinquants. Non seulement ceux-ci sont impliqués conjointement dans la surveillance en apportant leur soutien aux intervenants du SCC, mais ils ont également des paramètres qui leur sont propres. Par exemple, ils s'occupent du Registre des délinquants sexuels auquel est assujetti un grand nombre de délinquants sexuels. Des établissements de santé, tel que l'Institut Philippe-Pinel, sont d'autres joueurs clés dans les services disponibles pour intervenir auprès des délinquants. Les groupes communautaires, dont les Cercles de soutien et de responsabilité, font également partie de ces partenaires inestimables qui contribuent à l'intervention et à l'encadrement des délinquants sexuels.

En somme, bien qu'elles soient non exhaustives, ces mesures s'inscrivent dans un continuum d'interventions à la disposition des intervenants pour permettre une surveillance optimale des délinquants sexuels dans la collectivité en répondant à leurs besoins et en gérant le risque qu'ils représentent.

À l'expiration de la sentence et au-delà

Certains se demanderont, avec raison, ce qu'il advient de cette clientèle lors de l'expiration de leur sentence. Les mesures à l'expiration de la sentence font aussi partie des pratiques du SCC et de son engagement à maintenir la sécurité publique. Avant l'expiration de la sentence, et de la surveillance en collectivité d'un délinquant sexuel, une préparation est effectuée avec ce dernier et les partenaires externes, afin de faciliter sa transition dans la collectivité comme citoyen et non plus en tant que libéré conditionnel. En collaboration avec le délinquant, les intervenants examinent où il souhaite habiter, ce qui permet de valider que le logement se trouve dans un milieu adéquat considérant sa problématique et le cadre légal dans lequel il évolue. Plusieurs délinquants doivent en effet respecter des ordonnances de la cour et les conditions spéciales s'y rattachant comme par exemple l'interdiction de fréquenter certains lieux publics, tels que les parcs et les écoles ou certaines personnes dont les enfants, les adolescents ou des personnes spécifiques, notamment leur victime. Aussi, des interventions sont effectuées afin d'établir avec le délinquant un réseau de soutien positif et diversifié : famille, amis, bénévoles, programmes communautaires disponibles dans la collectivité où il résidera, etc. Des échanges sont aussi établis avec les corps policiers pour leur transmettre les informations pertinentes sur un délinquant lors de l'expiration de sa sentence. Des mesures plus importantes peuvent ainsi être mises de l'avant par les services policiers lorsque le délinquant est considéré à risque élevé de récidive. Par exemple, ceux-ci peuvent entamer des démarches en vertu de l'article 810 du Code criminel du Canada, qui permet au tribunal, selon des critères établis, d'ordonner au délinquant de respecter certains engagements, bien qu'il ne soit plus sous la surveillance du SCC. Ainsi, bien que le mandat de surveillance sous juridiction fédérale expire généralement à un moment ou à un autre, plusieurs mécanismes sociaux et juridiques existent pour maintenir des moyens de soutien et de contrôle pour les délinquants présentant de grands besoins ou pour lesquels le risque apparaît indu. Le SCC assume son rôle avec une grande importance dans cette transition ultime du retour du délinquant dans la société.

Une intervention en constante évolution

Les défis du SCC demeurent de taille face à la population des délinquants sexuels. En constante évolution, les mesures préconisées d'intervention et de contrôle, visant à assurer la sécurité publique, font l'objet de revue pour s'assurer qu'elles soient à la fine pointe des meilleures pratiques reconnues. Par ailleurs, afin d'être à l'affût des besoins de la collectivité, le SCC compte des comités consultatifs de citoyens. De tels comités permettent entre autres aux citoyens de connaître et de comprendre davantage le système correctionnel tout en assurant la liaison entre la collectivité, le SCC et les délinquants. Ces comités sont aussi appelés à émettre des recommandations sur les orientations, les directives et les pratiques du SCC. Le SCC participe aussi à différentes tables de concertation, où les échanges lui permettent, et à ses partenaires, de s'informer et de se sensibiliser réciproquement sur leurs réalités respectives. Cette collaboration crée des liens pour une intervention plus cohérente en collectivité, pendant la libération du délinquant et même au-delà de l'expiration de sa sentence.

En somme, le SCC met tout en oeuvre pour parvenir, avec ses partenaires tant communautaires que de la sécurité publique, à créer un filet de support et d'encadrement qui contribue ainsi à la sécurité publique.


1 Bigras, J. (2007). La prédiction de la récidive chez le délinquants sexuels. Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec, Canada.

2 Gouvernement du Québec (2010) STATISTIQUES 2008 sur les agressions sexuelles au Québec, Ministère de la Sécurité publique, Québec.

3 Andrews D.A. et Bonta J. (2006). The Psychology of Criminal Conduct. Fourth Edition. Anderson Publishing, État-Unis.