Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : intervenir auprès des victimes, des proches et des agresseurs

Par Christine Tremblay,
Conseillère à l'intégration des services, Réseau correctionnel de l'Est-du-Québec

L'Établissement de détention de Percé : un modèle unique

La réouverture de l'Établissement de détention de Percé (ÉDP) est un projet d'envergure, innovateur et audacieux, qui a captivé tous ceux qui ont travaillé de près ou de loin à sa création. À la lecture de cet article, vous découvrirez en quoi l'ÉDP est un établissement unique et pourquoi il suscite autant d'engouement. Par le biais des encadrés en italiques, vous serez à même de ressentir les émotions des premières personnes incarcérées qui ont complété la thérapie.

Historique

Le projet de Percé a débuté il y a déjà quelques années, au moment où les établissements de détention provinciaux affi chaient complet. C'est dans ce contexte de surpopulation carcérale persistante que le maire de la ville de Percé a signifi é au ministre de la Sécurité publique, au printemps 2005, l'intérêt des élus municipaux à rouvrir l'ÉDP. Par la création d'emplois de qualité, ils entrevoyaient un impact économique considérable qui viendrait dynamiser la région. L'ÉDP, construit en 1965 et pouvant accueillir 30 individus, a été fermé vers 1985 dans un objectif de rationalisation des places en milieu carcéral. Après avoir étudié différents scénarios, le gouvernement a fi nalement annoncé sa réouverture le 21 février 2008, en lui consacrant une vocation d'évaluation et de traitement pour les délinquants sexuels.

La concrétisation du projet relève non seulement d'un effort collectif, mais aussi d'un partenariat novateur entre deux ministères. Alors que le ministère de la Sécurité publique (MSP) assume la garde sécuritaire des contrevenants, c'est au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) que revient la tâche de concevoir et d'offrir les services spécialisés en délinquance sexuelle. Ainsi, le projet de Percé s'inscrit dans l'esprit du protocole de partage de responsabilités entre les deux ministères concernant l'accès aux services sociaux pour les contrevenants (1989) et en continuité avec les orientations gouvernementales en matière d'agression sexuelle (plan d'action 2008-2013). De plus, il trouve sa raison d'être dans la Loi sur le système correctionnel du Québec qui prône le développement de programmes en milieu carcéral, afi n de réduire la récidive et d'assurer la protection de la société.

La prison

Percé est un établissement de détention de respect pour les personnes incarcérées et pour moi une thérapie pour ma vie. Je me suis retrouvé dans mes émotions. Merci. C.

L'ÉDP a accueilli ses premiers délinquants sexuels le 17 mai 2010. Sa nouvelle capacité opérationnelle s'établit à 42 places, réparties sur quatre secteurs de vie. Étant donné que le séjour prévu est d'une durée de six mois, on compte traiter annuellement 84 délinquants sexuels. Bien que l'établissement possède l'infrastructure et toutes les caractéristiques physiques d'un établissement sécuritaire et qu'aucun contact avec la communauté locale n'est permise durant toute la durée du séjour, l'encadrement qu'on y prône est davantage de type minimal. Le personnel interagit avec la clientèle avec beaucoup de respect. Par une approche individualisée et humanisante, on cherche à créer un contact privilégié avec l'individu pour l'amener à cheminer et à se responsabiliser.

La clientèle

À l'ÉDP, on est plus qu'un numéro, on est des humains. Nous sommes bien encadrés, le personnel ainsi que les thérapeutes mettent tout leur professionnalisme à l'oeuvre. C'est l'endroit où l'on retrouve l'estime de soi. Claude.

De façon générale, les délinquants sexuels s'avèrent une clientèle faiblement motivée face au traitement et réticente à se dévoiler. La négation de leurs délits, la minimisation des gestes posés et les distorsions cognitives qui ont favorisé le passage à l'acte sont souvent le lot des attitudes des agresseurs sexuels. À priori, la majorité des candidats manifestent des réticences notables à transférer à l'ÉDP, en raison de l'éloignement géographique et la peur de l'inconnu. Il est vrai que la route est longue, mais une fois à Percé, tout est mis en oeuvre pour permettre aux contrevenants d'oublier la fatigue du voyage et de diminuer leur anxiété. Rapidement, ils constatent que leur nouveau milieu de vie sera différent, car le climat de respect et de calme qui prévaut se fait hâtivement ressentir. La majorité des personnes incarcérées à l'ÉDP mentionnent se sentir en sécurité dans cet environnement où chacun devient à l'aise de discuter ouvertement de ses problématiques considérées jusque-là comme étant taboues, honteuses, voire inavouables. Les plus anciens encouragent les nouveaux arrivants, qui constatent ne pas être les seuls à vivre des difficultés liées à la délinquance sexuelle.

Le personnel

À l'ÉDP, il y a une très bonne ambiance entre les gardiens et les détenus. Tout se passe dans le respect. Les équipes carcérale et thérapeutique sont courtoises et qualifiées. Bref, c'est l'endroit idéal pour régler ses problèmes. Nous sommes bien entourés et le milieu de vie est très agréable. L'ambiance est saine et positive.

Ils sont plus de 70 à travailler à l'ÉDP. C'est monsieur André McKibben, nommé par le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) du Rocher-Percé, qui occupe le poste de directeur clinique. Celui-ci est soutenu par une équipe multidisciplinaire composée d'une dizaine de professionnels, qui dispensent le programme d'évaluation et de traitement. Le personnel correctionnel est constitué de gestionnaires, d'agents des services correctionnels, d'une professionnelle et d'un personnel de bureau. Il importe de préciser que le personnel correctionnel a été judicieusement choisi pour travailler à l'ÉDP. Le profil des candidats intéressés a été étudié afin de s'assurer que les personnes retenues adhèrent au principe de réinsertion sociale et démontrent de l'intérêt à travailler avec une clientèle présentant une problématique de délinquance sexuelle. Par ailleurs, tous ont reçu une formation spécifique en délinquance sexuelle et en entretien motivationnel, afin d'être mieux outillés pour interagir avec les contrevenants et participer activement à leur processus thérapeutique.

Processus de dépistage et référence

Que dire, il faut être sur place pour apprécier les services, l'encadrement, ici c'est l'endroit où l'on a la chance de voir l'avenir, c'est un nouveau départ.

Le dépistage et l'évaluation initiale du délinquant sexuel se font à son établissement de détention d'origine par l'un des professionnels des Services correctionnels du Québec (SCQ) formés à cet égard. En raison de la durée restreinte des sentences, ce processus doit s'enclencher très rapidement suivant le prononcé de la peine pour s'assurer qu'un nombre optimal de contrevenants admissibles puissent bénéficier du programme. Avant de référer une candidature à l'ÉDP, le professionnel doit vérifier si le contrevenant répond aux conditions obligatoires pour des fins de référence. Tout d'abord, le sujet doit être un homme incarcéré dans l'un des 18 établissements de détention de juridiction provinciale (peine de moins de 2 ans), soumis à une peine suffisante pour permettre un séjour de 6 mois à Percé et avoir commis un délit de nature sexuelle ou comportant une intention sexuelle. Enfin, l'individu doit démontrer une motivation minimale à s'investir dans une démarche thérapeutique, mais il est important de préciser qu'il n'a pas à consentir en tant que tel à son transfert vers l'ÉDP. Le principe de motivation minimale est examiné en fonction d'indicateurs, dont le souhait du contrevenant à développer des habiletés pour éviter la récidive ou à fonctionner de façon socialement acceptable.

Programme d'évaluation et de traitement des délinquants sexuels

J'ai bien apprécié les cours et tout ce qu'ils m'ont apporté sur mes émotions. L'ÉDP est l'endroit où l'on retrouve l'estime de soi et notre dignité. Merci, je suis fier de moi.

Le programme est d'une durée totale d'environ six mois. Il s'appuie sur le modèle cognitivo-comportemental et est orienté sur l'acquisition d'habiletés et de compétences visant à réduire l'impact des facteurs de risque. On travaille non seulement à diminuer le risque de récidive, mais également à améliorer la qualité de vie personnelle et sociale du participant. Le délinquant est encouragé à utiliser dans son quotidien les apprentissages théoriques réalisés en thérapie. Dans ses contacts répétés avec les autres personnes incarcérées et le personnel, il va sans dire que le sujet est amené à briser son isolement et à mettre en pratique les différentes stratégies enseignées. Tout au long du programme, le personnel est en mesure d'observer et d'assister en direct aux progrès réalisés par les personnes incarcérées. D'autre part, lorsque des comportements problématiques sont constatés par le personnel correctionnel chez un individu, ceux-ci sont rapidement documentés et transmis à l'équipe clinique pour servir comme levier d'intervention. Ce formidable travail d'équipe permet un meilleur encadrement et un suivi plus personnalisé des délinquants sexuels.

Puisqu'il n'existe aucun autre programme similaire dans lequel des services spécialisés en délinquance sexuelle sont offerts en milieu carcéral à des individus ayant écopé de courtes peines de détention, celui-ci revêt un caractère innovateur et précurseur exceptionnel. Le fait que la programmation s'adresse à une clientèle très hétérogène et présentant des niveaux de risque différents a représenté un défi intéressant à relever.

Les 3 phases du programme

Pour moi, c'est la première fois que je vais en thérapie où l'on retrouve un personnel intervenant professionnel dans un milieu carcéral, dans un cadre d'humain à humain. Je conseille le programme de l'ÉDP aux personnes qui veulent bien s'en sortir, car on nous offre un bagage bien fourni pour ne plus récidiver. Cette thérapie m'a appris beaucoup sur mon comportement et mon délit. Merci à tous. E.F.

La phase pré-programme

D'une durée d'environ six semaines, cette phase préparatoire au traitement consiste essentiellement à évaluer le délinquant sexuel, à le sensibiliser à sa problématique et à accroître sa motivation à entreprendre la phase suivante. Par le biais de rencontres individuelles avec son conseiller clinique, l'évaluation complète du sujet est effectuée. L'équipe de santé utilise également différents tests psychométriques, des tests standardisés et procède à une évaluation des préférences sexuelles en laboratoire. Parallèlement, l'agent de probation réalise le plan d'intervention correctionnel.

Des rencontres de groupe sont également prévues à l'horaire, afin de transmettre des informations aux participants et favoriser leur adhésion au traitement. Cette phase se veut non confrontante et a pour objectif d'amener le contrevenant à accepter volontairement de s'investir dans le programme de thérapie. Le faible niveau de motivation de la clientèle est un enjeu majeur qui doit absolument être travaillé à ce stade-ci. Au terme de cette période, le délinquant sexuel de même que l'équipe clinique doivent se positionner sur la poursuite ou non du programme. À ce jour, l'ÉDP affiche un taux de rétention de la clientèle supérieur à 80 %

La phase de traitement

Au coeur du programme, le traitement s'étale sur 16 à 18 semaines. Les groupes sont constitués de 8 à 12 participants, qui s'investiront au total dans 72 activités de groupe réparties dans quatre grands domaines d'intervention spécifiques aux agresseurs sexuels, soit les modèles de fonctionnement sexuel inadéquats, les lacunes dans l'autorégulation, les croyances et attitudes supportant l'agression sexuelle ainsi que les déficits relationnels. Le traitement comporte deux phases, soit celle de la conscientisation et celle de la responsabilisation.

Le quotidien des personnes incarcérées est bien occupé, car outre les thérapies de groupe qui se déroulent sur 5 demi-journées par semaine, celles-ci ont des rencontres individuelles avec leur conseiller clinique et leur titulaire agent des services correctionnels. Elles participent également à des activités d'art-thérapie, complètent des journaux d'auto-observation et font des devoirs. Parallèlement, les individus sont fortement encouragés à participer à la formation académique (français, informatique, développement personnel et social) et au programme de développement de l'employabilité, car ils sont jugés complémentaires au traitement.

La phase de l'évaluation post-traitement et la continuité des services

Je veux remercier toute l'équipe du personnel de la détention pour le magnifique temps des Fêtes et de nous traiter comme des êtres humains. Je suis très reconnaissant de votre patience et du confort que vous apportez à tous les jours. Je parle pour la plupart des détenus ici, que vous êtes là pour notre bien et pour nous aider dans notre démarche. Alors merci pour tout. Jacques.

Les dernières semaines sont consacrées à la production du bilan et de l'évaluation post-traitement. On s'assure d'établir la liaison avec l'établissement de détention d'origine de même qu'avec les organismes spécialisés mis à contribution dans la poursuite de la démarche de réinsertion sociale de la personne contrevenante. Le programme de l'ÉDP n'est pas une fin en soi; il fait plutôt partie d'un continuum de services qui requiert la collaboration des ressources spécialisées dans toutes les régions du Québec. Cette continuité des services s'avère essentielle pour une prise en charge maximale des facteurs de risque du délinquant.

Enfin… 

L'ÉDP est le premier établissement de juridiction provinciale à offrir un programme spécialisé d'évaluation et de traitement pour les agresseurs sexuels. L'expertise qui y sera développée favorisera un rayonnement qui s'étendra bien au-delà des frontières québécoises. D'autre part, un volet lié à la recherche est en voie de se structurer pour mesurer les retombées du programme. Finalement, la première année d'opération sera propice aux ajustements à tous les niveaux et permettra une amélioration continuelle des pratiques, puisque l'objectif ultime demeure la protection de la société par une meilleure réinsertion sociale des contrevenants.