Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : intervenir auprès des victimes, des proches et des agresseurs

Par Chantal Huot,
Directrice clinique, Centre d'intervention en violence et agressions sexuelles de l'Estrie

et Sara Martinet,
Directrice générale, Centre d'intervention en violence et agressions sexuelles de l'Estrie

L'intervention auprès des proches des personnes ayant commis un délit à caractère sexuel : un regard systémique

«Le bonheur est un délicat équilibre entre ce que l'on est et ce que l'on a».

Situons les gestes sexuels déviants dans une vue d'ensemble
Alors que l'agression sexuelle marque à jamais la vie de celui ou celle qui en est victime, en lui apportant un lot de conséquences qu'il ou elle n'a pas choisi, la problématique inhérente à l'agresseur dépasse le simple fait qu'il soit le mal-aimé de la société et que cette dernière le considère et le présente comme un multirécidiviste à enfermer. D'ailleurs, il est mentionné dans certains articles (R. Karl Hanson, Ph.D.) qu'une personne auteure d'agressions sexuelles qui s'est investie dans un cheminement thérapeutique approprié voit son risque de récidive diminué de près de la moitié (17,3 % à 9,9 %). Par conséquent, il importe de soulever la complexité de la problématique pour s'assurer d'obtenir les appuis nécessaires à la réhabilitation de l'agresseur dans le but de protéger de potentielles victimes…

D'abord, les gestes sexuels déviants tels que le voyeurisme, l'exhibitionniste, la pédophilie, laquelle inclut également l'inceste, s'inscrivent dans le registre de la santé mentale par la place qui leur est accordée dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV). Cet argument gagne de la valeur si on lui ajoute le fait qu'une partie des agresseurs sexuels sont aux prises avec des troubles de dysfonctions sexuelles, des troubles de la personnalité ou encore de dépression (troubles répertoriés dans le DSM-IV). D'autre part, même si l'abus d'alcool, de drogues illicites ou encore de médicaments (prescrits ou non) peut avoir précédé les passages à l'acte de certains, cette consommation abusive semble être une avenue privilégiée par d'autres pour s'adapter à des besoins en souffrance, une réalité insatisfaisante, un mal-être général et récurrent qui perdure souvent depuis leur jeune âge. Les limites intellectuelles et la défi cience légère auxquelles d'autres agresseurs sont confrontés ne font qu'ajouter un défi supplémentaire à leur réhabilitation.

Cette comorbidité n'est toutefois pas la seule responsable de la complexité de cette problématique. Bien que les gestes sexuels déviants résultent d'un ensemble de facteurs et de choix personnels individuels, nous ne pouvons pas faire abstraction de l'environnement de l'agresseur dans lequel ce dernier évoluait avant, pendant et après le(s) passage(s) à l'acte. Il s'agit d'un système interrelié et nous devons le considérer dans le traitement de l'agresseur. Voilà pourquoi le Guide et norme de pratique provinciale en matière d'agression sexuelle, entériné par le gouvernement, en a fait une norme de pratique soit à l'article 1.3.7. Cet article fait mention que « la collaboration de la famille et des partenaires peut être envisagée pourvu que celleci puisse constituer un adjuvant thérapeutique au processus de traitement et qu'elle ne se fasse pas au détriment des tiers ». Dans le même guide, il est mentionné aussi que la gestion effi cace du risque en communauté nécessite un travail de collaboration entre les différents systèmes incluant, donc, les membres de la famille.

Sous l'angle des victimes collatérales des auteurs d'agressions sexuelles (parents d'adolescent agresseur, conjoint(e), un tiers proche)
Il est réaliste de croire que le dévoilement, les procédures judiciaires, la sentence, etc., entraînent un état de crise au sein du réseau de l'agresseur. Les proches, appelés aussi victimes collatérales, peuvent vivre de l'incompréhension, de la colère, de la honte, de la culpabilité, voire même une ambivalence entre l'amour et la haine… Habituellement s'ajoute à cela le sentiment d'être jugé par leur propre réseau, sinon par les professionnels auprès de qui ils vont chercher de l'aide. Conséquemment, ils sont laissés à eux-mêmes, ayant difficilement accès à une ressource où ils se sentent à l'aise, habiles et outillés relativement à la dynamique de l'agresseur : d'où l'émergence de préjugés de part et d'autre.

Nul doute à l'effet que les proches ont besoin d'être accueillis et sécurisés face à ce qu'ils vivent, aidés dans la compréhension des différents paramètres de la crise déclenchée par l'agression, tout en étant informés objectivement des modèles explicatifs généraux du passage à l'acte. Dans le même ordre d'idées, ils ont besoin d'être aiguillés quant à l'identification des mesures à prendre pour engager une rupture ou restaurer le climat familial (alors que dans 30 à 40 % des cas, la relation avec l'agresseur sera maintenue) et surtout éduqués pour assurer la protection de victimes potentielles.

Alors que nous observons une recrudescence des demandes d'aide faites par les proches des agresseurs sexuels, le CIVAS s'est montré prêt à supporter cliniquement un « projet pilote » qui offrirait une aide spécifique à ces personnes qui sont confrontées à un « certain vide thérapeutique ».

Des liens possibles…

Outre le fait que les proches soient des victimes indirectes, nous avons tendance à oublier que le geste sexuel déviant posé par l'agresseur peut raviver des traumatismes refoulés chez certaines d'entre elles. Il est très fréquent que les proches aient eux-mêmes été victimes dans leur passé, leur enfance. Dès lors, un partenariat avec le CALACS serait à promouvoir afin que les femmes qui désireraient aborder leur traumatisme sexuel (fait par un parent, un membre de la fratrie, etc.) ravivé par l'événement, puissent être mieux accompagnées. Un des principaux objectifs visés par cette démarche serait de mettre véritablement un frein à une situation « domino » d'agressés-agresseurs.

Les impacts possibles face à l'absence de services spécialisés

L'impact négatif de l'absence d'un tel service peut se remarquer dans l'évaluation du risque de récidive. Effectivement, considérant qu'un nombre important d'individus choisissent de maintenir la relation avec le partenaire agresseur, il est vraisemblable de croire en l'émergence ou l'accentuation de la problématique du client, particulièrement si l'on tient compte de l'état de crise causé par ses choix et comportements. De plus, en ne valorisant pas le travail avec les proches du client, nous nous éloignons de l'approche préventive. En ce sens, si son environnement n'est pas au courant des situations à risque pour lui, de sa dynamique, de sa problématique, prenant pour compte que ce réseau peut même surprotéger l'agresseur, ils ne peuvent pas supporter adéquatement celui-ci et encore moins promouvoir une protection auprès de quelconques victimes potentielles.

Alors que nous observons une recrudescence des demandes d'aide faites par les proches des agresseurs sexuels, le Centre d'intervention en violence et agressions sexuelles de l'Estrie (CIVAS) s'est montré prêt à supporter cliniquement un « projet pilote », qui offrirait une aide spécifique à ces personnes qui sont confrontées à un « certain vide thérapeutique ». Le réseau public semble difficilement répondre de façon si pointue à une problématique, qui est en-soi, une spécialisation. Lorsque ces victimes indirectes ont des questions, entre autres, sur le cycle délictuel des agresseurs, plusieurs professionnels ne sont pas en mesure d'y répondre.

Depuis janvier 2011, le CIVAS Estrie, avec l'appui financier du ministère de la Santé et des Services sociaux, offre un soutien aux proches de sa clientèle, mais aussi à toutes personnes ayant un besoin relié à cette problématique. Le montant d'argent octroyé nous permettra de réaliser ce projet sur une période de quinze mois. L'intervention pourra prendre plusieurs formes : rencontre individuelle, rencontre de groupe, rencontre de couple. Retenons qu'actuellement le CIVAS Estrie offre un programme thérapeutique de dix-huit mois qui s'échelonne sur trois phases, soit le groupe d'accueil/motivationnel (deux mois), le groupe de thérapie (douze mois), le groupe de maintien des acquis (quatre mois). Durant cette période, le participant s'implique, en groupe, à raison de quatre heures par semaine. Le participant peut aussi, sur une base volontaire, poursuivre en groupe de soutien, une fois par mois. De plus, juxtaposée à l'intervention de groupe, la clientèle bénéficie d'un suivi individuel, une heure par semaine. Un atout de plus dans un continuum de services!