Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Recherche sur les impacts psychologiques, organisationnels et sociaux du travail

Le travail en détention et la santé des agents des services correctionnels : Évolution de la situation de 2000 à 2004

Ce texte a d’abord paru dans un numéro spécial du bulletin RIPOST en juin dernier. Pour des raisons d’espace, le présent article a été coupé.

L’établissement de détention constitue un univers de travail tout à fait particulier qui ressemble à bien peu d’autres, sauf peut-être à celui d’institutions psychiatriques ou autres établissements caractérisés par la réclusion. Ce milieu demeure méconnu malgré son ouverture récente sur le monde extérieur. Au Québec comme dans d’autres pays occidentaux, l’univers correctionnel a subi de nombreuses transformations au cours des trente à quarante dernières années. La mission des détentions a notamment changé de façon notoire. Alors que la prison disciplinaire traditionnelle avait pour mission de protéger la société des criminels en les contrôlant, ayant recours à des techniques de surveillance et de confinement des personnes détenues, la philosophie carcérale actuelle est plutôt orientée vers leur réinsertion en société. Ces changements idéologiques et les réformes des politiques correctionnelles ont inévitablement conduit à des bouleversements organisationnels. De ce fait, le métier d’agent des services correctionnels (ASC) est devenu plus complexe. Il requiert désormais des habiletés techniques et relationnelles particulières.

L’exercice du travail d’ASC a parallèlement été confronté à des conditions difficiles particulièrement en ce qui a trait à la relation d’aide aux personnes incarcérées. En effet, l’alourdissement de la clientèle et le retrait de nombreuses tâches liées à la réinsertion sociale au profit, notamment, des agents de probation ont contribué, selon les ASC, à limiter leur autorité pourtant nécessaire à la réalisation de leur travail. À cela s’ajoute l’affaiblissement de leur sentiment de sécurité particulièrement en raison de la difficile adaptation de l’organisation du travail à la féminisation accélérée du personnel et à l’embauche massive de jeunes agents à la suite du départ à la retraite de plusieurs agents expérimentés.

Un portrait qui s’assombrit

Dans les établissements de détention provinciaux du Québec, cet état de fait semble avoir eu des répercussions importantes sur le taux d’absentéisme,/ l’augmentation considérable de la tension au travail et l’éclatement de nombreux conflits. Préoccupé par ce malaise général, le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ) s’est associé au ministère de la Sécurité publique afin d’initier une vaste recherche intervention-évaluative dans l’ensemble des établissements correctionnels québécois. Cette recherche vise à améliorer l’état de santé mentale des ASC et à accroître leur sentiment de sécurité au travail.

On remarque que le portrait s’est assombri entre 2000 et 2004, le nombre d’agents ayant un taux de détresse psychologique élevé ayant augmenté de 40%.

Cette démarche de recherche amorcée en 2000], nous a permis, notamment, de constater que la situation générale des ASC s’est peu améliorée depuis 4 ans et qu’elle s’est même souvent détériorée. Ce document vous présente les faits saillants de ce constat.

On constate que la population des ASC québécois s’est quelque peu transformée au fi l du temps. D’abord, soulignons l’augmentation de la proportion de femmes agentes au sein des établissements provinciaux, de 36% des répondants en 2000 à 41% en 2004. Un rajeunissement du personnel correctionnel est par ailleurs observé. En effet, alors que la proportion de répondants âgés de 18 à 34 ans était de 34% en 2000, elle est passée à 42% en 2004. Parallèlement, le niveau de scolarité des agents s’est également considérablement accru. En ce sens, le nombre d’ASC détenant un diplôme collégial ou universitaire est passé de 73% en 2000 à 80% en 2004. Enfin, notons que la répartition des statuts d’emploi parmi les répondants est restée stable entre 2000 et 2004, avec 2/3 d’agents à temps complet réguliers - et 1/3 d’agents à temps partiel réguliers.

La détresse psychologique

En 2000, on a pu observer qu’un grand nombre d’ASC québécois présentaient déjà un taux élevé de détresse psychologique. La proportion d’agents présentant un taux élevé était alors à la fois plus grande chez les hommes (33%) et chez les femmes (32%) qu’elle ne l’était dans la population québécoise (17% et 22%) (figure 1). On remarque par ailleurs que le portrait s’est assombri entre 2000 et 2004, le nombre d’agents ayant un taux de détresse psychologique élevé ayant augmenté à 40% chez les hommes et à 39% chez les femmes.

La violence au travail

La fréquence des actes violents exercés par la population carcérale envers le personnel correctionnel est en hausse. Alors que 35% des agents se disaient victimes de violence physique exercée par les personnes incarcérées en 2000, ce sont 43% de ceux-ci qui s’en sont dits victimes en 2004. La tendance est encore plus forte lorsqu’on demande aux ASC s’ils ont subi de l’intimidation de la part de la clientèle, le taux d’exposition passant de 60% en 2000 à 78% en 2004. Une nouvelle question introduite au questionnaire de 2004 permet par ailleurs de constater que 58% des ASC affirmaient alors avoir été l’objet de harcèlement psychologique de la part des personnes incarcérées. Les rapports sociaux entre le personnel correctionnel sont également fortement perturbés. Bien qu’à première vue les actes de violence physique perpétrés par des collègues, des subordonnés et des supérieurs semblent être des évènements isolés, il faut noter que leur fréquence a pratiquement doublé entre 2000 et 2004. L’exposition à l’intimidation entre membres du personnel a également doublé entre 2000 et 2004. Alors que près de 17% des ASC ont mentionné avoir subi de l’intimidation de la part de leurs supérieurs en 2000, ce taux s’élevait à près de 35% en 2004. L’intimidation en provenance des collègues a évolué dans le même sens tout en présentant des taux d’exposition similaires. Dans la même vague, le taux d’exposition à l’intimidation proférée par les subordonnés est passé de 6% en 2000 à 14% en 2004. La mesure de l’exposition au harcèlement psychologique introduite à l’étude en 2004 nous a par ailleurs permis de constater que 13% des agents ont alors été l’objet de ce type de violence proférée par des subordonnés(es), 33% par des supérieurs et 36% par des collègues. Quant au harcèlement psychologique au travail, toute provenance confondue (collègues, supérieurs, subordonnés et détenus), 70% des ASC québécois s’en sont dits victimes au cours de la dernière année. Ce taux est particulièrement élevé si on le compare à celui obtenu dans l’étude de Samak (1) réalisée auprès d’agents correctionnels oeuvrant au sein de la fonction publique fédérale où il observe un taux d’exposition au harcèlement de 48% au cours des 5 dernières années.

Les contraintes liées à l’organisation du travail

Les ASC sont par ailleurs fortement exposés à diverses contraintes liées à l’organisation du travail (tableau 3). D’abord, la demande psychologique élevée, qui se traduit par une grande quantité de travail, la complexité des tâches et les contraintes de temps dans leur réalisation, affectait une plus grande proportion d’agents en 2000 (57,0%) comparativement à 2004 (48%). Ensuite, la latitude décisionnelle faible, qui se manifeste par l’impossibilité de choisir comment faire son travail et de participer aux décisions qui s’y rattachent et le peu d’occasions d’utiliser ses qualifications et d’en développer de nouvelles, s’est fortement amplifiée au fi l du temps. En effet, alors que 68% des agents mentionnaient avoir peu de latitude dans leur travail en 2000, ce taux a grimpé à 90% en 2004. Le faible soutien social des supérieurs, caractérisé par le peu d’aide, la collaboration déficiente et la faible contribution à la constitution d’un esprit d’équipe est demeuré stable entre 2000 et 2004 (approximativement 54%). Pour sa part, le faible soutien social des collègues s’est grandement amélioré. À cet effet, 83% des agents recevait un soutien faible de la part de leurs collègues en 2000 et ce taux s’est abaissé à 66% en 2004.

Conclusion

Entre 2000 et 2004 la proportion d’ASC québécois présentant un taux élevé de détresse psychologique ou étant victimes de violence au travail a augmenté de façon importante. Cette évolution de la situation au travail des ASC montre bien la pertinence, voire l’urgence de procéder à une intervention visant la réduction des contraintes du travail à l’origine de ces problèmes. À ce chapitre, une intervention est présentement en cours dans trois établissements expérimentaux. Afin de compléter le volet scientifique de cette recherche, nous procédons à un suivi de l’évolution de la situation des ASC suite à l’intervention dans les groupes expérimentaux. L’hypothèse retenue est que les interventions qui ont cours dans ces établissements expérimentaux auront pour effet d’améliorer la santé mentale des ASC visés et de réduire la prévalence de la violence entre membres du personnel. Afin de vérifier cette hypothèse, nous administrerons de nouveau un questionnaire à ces agents, 1 an après l’implantation des changements (2006), puis 3 ans après (2008). De plus, nous devons nous assurer que les changements implantés dans les établissements expérimentaux sont bien à l’origine de l’évolution des taux de détresse psychologique et d’exposition à la violence. Pour ce faire, nous administrerons également de nouveau le questionnaire à l’ensemble des autres ASC québécois. Les résultats obtenus par ces autres ASC nous permettront de suivre l’évolution naturelle de leur situation, en l’absence d’intervention spécifique.

Nous vous rappelons que le but de cette recherche est de contribuer au mieux être au travail des ASC québécois. Ainsi, la collaboration de tous et de toutes dans ce projet est particulièrement précieuse et nous vous en remercions.


(1) Samak, Q. (2003), Les agentes et les agents correctionnels du Service correctionnel du Canada en rapport avec leurs conditions de travail : une étude-enquête, Confédération des syndicats nationaux (CSN)