Revue Porte Ouverte

Délinquance sexuelle : L'envers des apparences

Par Mohamed Lotfi

Souverains Anonymes, pour l’essentiel

Souverains anonymes (SA) est une émission radiophonique, réalisée avec et pour les détenus de la prison de Bordeaux à Montréal depuis janvier 1990. Souverains anonymes a reçu quelque 500 artistes invités, a diffusé quelque 700 heures d’émissions sur les ondes d’une vingtaine de radios communautaires au Québec, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et même en France. Depuis 2000, SA a aussi un site Internet où on peut cliquer et écouter les dernières émissions.

Ce programme fait désormais partie du paysage médiatique, reconnu pour son impact auprès des personnes incarcérées, mais aussi auprès des membres de la communauté qui apprennent, grâce à ce programme, de découvrir différemment les détenus.

Une première décision en 2003 de mettre fin à ce programme a été annulée grâce à l’appui du ministre Jacques Chagnon. Deux ans plus tard, Souverains anonymes, malgré un nouvel appui politique et financier de la part de neuf ministres de l’actuel gouvernement, dont celui de la Sécurité publique et le premier ministre lui-même, ce programme est de nouveau remis en question par la nouvelle direction de Bordeaux. C’est le local de l’activité, un studio théâtre, que la nouvelle direction vient de démanteler pour le remplacer par un autre local, trois fois plus petit et ne répondant pas aux besoins ni aux conditions de travail.

Nicodème Camarda, ex-détenu de Bordeaux raconte ici l’essentiel de son expérience à SA.

Mon nom est Nicodème Camarda, je suis un ex-détenu de la prison de Bordeaux, mais aussi un Souverain anonyme. Pour ceux qui ne le savent pas encore Souverains anonymes c’est un micro au milieu d’une prison. Un micro offert et ouvert aux détenus de la prison de Bordeaux. Un micro pas comme les autres. Un concept particulier et original qui a suscité mon admiration dès mon premier test de son. Une activité qui prend la forme d’une émission radiophonique préenregistrée et où l’on reçoit des artistes invités. Une activité pour laquelle les participants se creusent les neurones à préparer des textes, des questions, des poèmes et des chansons. Et tout cela, sous la supervision du concepteur et réalisateur Mohamed Lotfi ; un être extraordinaire, génial, complètement occupé et préoccupé par le sort et la parole des Souverains de Bordeaux.

Mais, qu’est-ce que c’est vraiment un Souverain anonyme ? C’est d’abord et avant tout un être humain qui se relève et que l’on considère parce qu’il se reprend. Quelqu’un qui a des choses à dire, à entendre, à découvrir et à apporter. Ce n’est pas n’importe qui : c’est quelqu’un. C’est moi. Un enfant retrouvé. Une part de notre société. Un être intéressé et occupé à tout ce qui est réalisation de soi et expression du monde qui l’entoure. Un Souverain anonyme c’est celui qui cesse de rêver sa vie et qui commence à vivre ses rêves. C’est ce que Mohamed nous enseigne, à sa manière. Et comme l’a dit Albert Jacquard à la fin de son premier passage chez les SA en 1993 : Un Souverain anonyme c’est un grand de ce monde. « Difficile Monsieur le Directeur, après une telle déclaration, d’envoyer chier le système !» Au début de ma sentence à Bordeaux, je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. À part quelques cours, rien d’intéressant pour me garder en contact avec le dehors, rien. Et c’est là tout le problème ! Avec rien devinez ce qu’on obtient ? Heureusement, il y avait un micro et d’autres hommes pour nous donner et partager la parole. La parole des souverains.

Treize ans après, je réalise encore combien ce programme fut déterminant et essentiel pour moi. Entre parler ou rester silencieux, c’était pour moi une question de vie ou de mort. Devant le micro, je prenais conscience peu à peu qu’après tout, le monde n’était pas si mauvais que ça ! Que je n’étais pas un monstre, et que je pouvais m’en sortir. Dans ma prise de parole, je me sentais appuyé, encadré et encouragé. Souverain anonyme me redonnait espoir en la vie en m’ouvrant la porte de la réflexion, de la création et de la communication. Avec Souverain anonyme, Bordeaux, pour moi, ce n’était plus uniquement une prison. Avec les invités de Souverains anonymes, j’ai pris le temps de remettre en question certaines de mes valeurs. Ce que je retiens d’essentiel, c’est l’envie de me réinventer. Depuis treize ans, je n’ai jamais remis les pieds dans une prison.

Entre parler ou rester silencieux, c’était pour moi une question de vie ou de mort. Devant le micro, je prenais conscience peu à peu qu’après tout, le monde n’était pas si mauvais que ça!

Depuis deux ans, j’entends que Souverains anonymes serait menacé. Pourquoi n’approuverait-on pas le fait que des détenus puissent jouir d’un droit d’ouverture sur le monde ? Celui qui les attend à leur sortie. Si on croit vraiment aux principes de réhabilitation, Souverains anonymes doit continuer d’exister. Je vous invite à l’écouter. C’est la meilleure façon de lui donner un sens. Mercredi 15h CINQ FM, 102,3 et sur Internet. Longue vie à Souverains anonymes.

Nicodème Camarda 30 juillet 2005