Revue Porte Ouverte

Les dépendances

Par Jacinthe Quevillon,
Aumônier Établissement Leclerc

La paternité sous les verrous

Un père me disait un jour : « tu sais, quand je suis entré en prison, ma famille ne savait plus comment se comporter avec moi. Même mes amis m'ont dit qu'on se reverra quand je sortirai. C'était comme si tout à coup je ne pouvais plus être un ami, un père. J'étais devenu qu'un numéro, un SED (matricule) avec du « temps à faire ». Pourtant ma fille m'appelle toujours papa, elle me demande des conseils sur le choix de vêtements à acheter, elle me parle de ses problèmes, je suis toujours son père ». Un homme me disait: « mes enfants ont maintenant 15 et 18 ans, ils sont tout pour moi. Leur mère s'en occupe très bien, heureusement qu'elle a été là. Je suis proche de mes enfants, ils me racontent ce qu'ils vivent, je les écoute, je leur donne des conseils quand cela est nécessaire. Dans quatre ans je serai dehors et je veux être là pour eux ».

Suite à un acte criminel, la sentence donnée par le tribunal vise directement le contrevenant. Lorsque la condamnation est prononcée, elle rassure et donne un répit aux victimes et leurs familles sans pour autant régler la blessure infligée. En retirant le contrevenant de la communauté, ses proches et sa famille entre avec lui dans l'ombre et plus particulièrement ses enfants qui sont directement affectés par cette sentence. Dès le moment où le crime est commis, tout bascule. Il y a l'arrestation, le choc médiatique et la rupture du lien suite à l'incarcération. Les membres des familles se sentent jugés, ils sont stigmatisés suite au crime voir, associés à ce dernier. L'homme incarcéré, privé de sa liberté, déstabilise ses proches. Quoi dire et particulièrement à ses enfants? Comment maintenir une relation significative avec son enfant alors que celui-ci a perdu ses points de repère?

Il me partageait comment il avait expliqué à son enfant son incarcération : « Tu sais quand les enfants n'écoutent pas ils sont punis, ils vont dans leurs chambres. Les adultes, leurs punitions sont plus longues, vu qu'ils sont des adultes. Moi je suis dans une maison de punition. Mon enfant m'a alors demandé: quand ta punition va finir ? »

Parler d'un membre de la famille qui est en prison est encore tabou. Il y a la honte, l'humiliation et bien des peurs. Les enfants n'y échappent pas. Même en très bas âge, s'ils ne sont pas en mesure de comprendre, ils ressentent les émotions des adultes et saisissent qu'il vient d'arriver un drame dans la famille. C'est pourquoi il n'est pas rare d'entendre des membres de la famille dire « nous aussi on fait du temps ». La famille doit s'adapter. Le père, de son côté, peut faire face à la culpabilité, à l'impossibilité d'aider sa famille. Il doit trouver les mots pour expliquer le pourquoi de son absence. Il n'est pas rare que le père s'entende avec l'autre parent pour inventer une histoire qui justifierait son départ du milieu familial. Poursuivre une relation père-enfants sur une base faite de mensonges est un stress.

Maintenir une histoire tirée par les cheveux n'est pas facile à vivre. Une mère un jour disait à ses trois enfants qui étaient en âge de comprendre « Bon les enfants, on va aller voir où papa travaille ». Un père me confiait avoir dit à son fils, 7 ans à l'époque, qu'il travaillait à Toronto. Maintenant que son fils à 9 ans, ce père me disait qu'un ami de son fils à l'école ne comprenait pas pourquoi il ne voyait jamais son père. « Ce n'est pas si loin Toronto, ton père pourrait bien prendre congé et venir te voir ». Il se sentait coincé dans son mensonge. Les enfants cherchent à se situer, à comprendre le pourquoi de la rupture mais ils demeurent trop souvent sans réponse. Ils apprennent donc à vivre en l'absence de vérité avec des implications sur leur capacité de s'ajuster au réel et à faire face aux épreuves de la vie.

Privé du jour au lendemain du lien avec le père, l'enfant souffre et cela dans tout son être. 

Un homme me confiait que son fils de 12 ans avait pleuré pendant deux jours lorsqu'il avait appris qu'il était revenu en prison pour bris de conditions. L'angoisse que cet enfant portait à l'idée de reperdre pour la troisième fois son père devenait de plus en plus difficile à vivre. La mère d'un garçon du même âge me téléphone. Elle avait fait des démarches auprès d'un organisme communautaire mais sans succès. Elle cherchait de l'aide pour son fils de 13 ans qui n'avait pas vu son père depuis plus d'un an. Comme la mère ne voulait pas être en contact avec le père, son fils se voyait dans l'impossibilité de le visiter. Des bénévoles ont accepté d'accompagner l'enfant. Le garçon avait tellement hâte de voir son père que la veille de la visite, il a dû se rendre à l'urgence de l'hôpital à cause de troubles d'anxiété. Son père et lui étaient très proches, ils avaient l'habitude de passer beaucoup de temps ensemble. Privé du jour au lendemain du lien paternel, cet enfant souffrait, il était psychologiquement affecté, son rendement scolaire valsait et son humeur devenait instable.

Maintenant qu'il a repris contact avec son père, il va beaucoup mieux. Bientôt, ils pourront reprendre un peu de ce quotidien si important en allant aux roulottes familiales privées. Le lien étant rétabli, le père doit continuer à travailler à mettre de l'ordre dans sa vie s'il veut garantir la continuité et la qualité de la relation. L'enfant, de son côté, doit continuer sa croissance, son développement et cela dans toutes les sphères de sa vie : à la maison, à l'école, avec ses amis et lors de ses visites en établissement, etc. Même derrière les barbelés dans le cadre des visites, il est possible pour un enfant de développer sa personnalité, son bagage personnel. C'est la qualité de la communication avec son père et l'appui de sa mère qui feront la différence. Le père ne doit pas se déconnecter des défis de la vie quotidienne. Il doit continuer à participer, et cela, malgré qu'il vive entre des murs aux portes closes.

Un homme que j'appellerais Joe est venu rencontrer des détenus pour leur partager son expérience de vie en tant qu'enfant de détenu. Il a visité son père pendant ses 25 années d'incarcération. Ce qui a rejoint les hommes présents a été la prise de conscience de l'attente de l'enfant face à son père, sa détermination à retourner dans ce lieu qu'il n'aimait pas pour être avec cet homme dont il avait tant besoin. Il nous a fait comprendre son immense besoin de contact paternel et sa profonde insécurité lors du retour en société (la peur des rechutes dans l'alcool, la drogue, peur de perdre à nouveau ce lien si longtemps désiré et attendu).

L'absence du père crée un vide profond que l'enfant cherchera bien souvent à combler (maladroitement) et cela tout au long de sa vie. Cette blessure de relation peut provoquer différents problèmes : dépression, colère, perte d'estime de soi, honte, sentiment d'abandon, difficultés et échecs scolaires, anxiété, maladies psychosomatiques, délinquance, etc.
Lors d'une journée communautaire au gymnase, j'attendais les familles après la fouille habituelle lors de l'entrée en établissement. Un garçon d'environ 11 ans arrivait dans la salle d'attente. Il se disait à lui-même « I hate this place » (« je déteste cet endroit »). Je me souviens, lors d'une fête familiale, avoir vu une petite fille de 8 ans courir en arrière de sa mère qui se précipitait à l'extérieur l'établissement en coup de vent parce elle avait « caught-ée » positif à la fouille. Cet enfant je la vois encore : elle pleurait, et semblait paniqué. Elle devait partir parce que sa maman n'était pas en règle. Elle ne verrait pas son papa cette journée-là. Je me suis dit, en la regardant passer, qu'elle se rappellerait toute sa vie de ce passage en pénitencier.

On ne va pas visiter quelqu'un en prison sans motivation. Il faut vouloir maintenir les liens pour faire face à chaque fois aux exigences sécuritaires, à l'austérité des lieux, même si le personnel en place accueille bien les familles et fait bien son travail. Par crainte que leurs enfants soient traumatisés, certains pères demandent à ne pas les voir en prison car ils ne supportent pas l'idée qu'ils subissent la vue des barbelés, les fouilles, etc.

Lors d'une visite en maison de transition, j'échangeais avec un père que j'avais connu alors qu'il était incarcéré. Il me partageait comment il avait expliqué à son enfant son incarcération : « Tu sais quand les enfants n'écoutent pas, ils sont punis, ils vont dans leurs chambres. Les adultes, leurs punitions sont plus longues, vu qu'ils sont des adultes. Moi je suis dans une maison de punition. Mon enfant m'a alors demandé : quand est-ce que ta punition va finir? ».

Les enfants, comme le père, sont confrontés à l'impuissance. Ils dépendent de ce que le système carcéral met en place pour faciliter le maintien des liens familiaux. La qualité du lien père-enfant est essentielle. Elle permettra au père, malgré les multiples contraintes liées à son incarcération, de se situer dans son rôle, de l'exercer, que ce soit au téléphone, aux visites régulières, aux rencontres communautaires ou aux roulottes familiales privées. La paternité ne doit pas être sous-estimée : elle est un moteur de transformation. Au nom de l'amour de ses enfants, un homme peut se dépasser. Il n'y a pas que des contrevenants et des délinquants, il y a aussi dans des pères dans ces hommes.

Quand il est question de leurs enfants, il n'est pas rare de voir leurs yeux se remplir de larmes. Travailler à la réinsertion sociale devrait se faire en gardant conscience de l'importance de soutenir le lien père-enfant. Les enfants sont particulièrement souffrants de cette perte de lien et de la marginalisation qu'ils subissent par leurs pairs.

C'est pourquoi nous valorisons le lien père-enfant et organisons depuis quatre ans à l'établissement Leclerc une semaine de la Paternité qui se termine le jour de la fête des Pères. Cette année, l'équipe des aumôniers et du socioculturel a permis à une quarantaine de familles de se réunir. Des ateliers adaptés aux enfants ont été rendus possibles grâce à une équipe de bénévoles et d'organismes communautaires.

Il est important de continuer à valoriser la responsabilité parentale du père d'autant plus qu'elle doit se vivre pour les enfants « sous les verrous ». La mère ne peut, malgré son bon vouloir et même si elle fait au-delà souvent de son possible, transmettre ce qui revient au père. Pour son développement, l'enfant a besoin aussi de la contribution masculine du père, ou de celle de tout homme significatif qui fera route dans sa vie.

Le Service correctionnel du Canada (SCC) tirerait bénéfices de poursuivre ses efforts et de mettre en œuvre des ressources (programme, lieux adaptés, activités, personnes) qui favoriseraient le rapprochement père-enfant, pour qu'à la fin de la sentence, l'homme puisse retourner vivre dans une famille unie. Il serait finalement avantageux que la famille puisse recevoir reconnaissance et soutien du SCC puisqu'elle représente une ressource d'accueil essentielle qui participe à la saine réinsertion sociale du contrevenant.