Revue Porte Ouverte

Les droits des détenus

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

Devant les problèmes récurrents et la lenteur des changements : L’Enquêteur correctionnel s’impatiente à l’endroit du SCC

Le 25 octobre dernier, le rapport de l’Enquêteur correctionnel était déposé au Parlement par le ministre de la Sécurité publique du Canada. Étrangement, au même moment le gouvernement annonçait qu’il venait de récupérer les sommes dépensées de façon inappropriées par l’Enquêteur précédent. C’est sans surprise que les médias ont préféré rapporter cette dernière histoire plutôt que le dépôt du rapport. D’ailleurs, ses conclusions n’ont pas encore été discutées à la Chambre des communes.

Trop de délinquants n’ont pas accès aux programmes

Le Bureau de l’Enquêteur correctionnel agit comme ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale. Sa fonction première consiste à faire enquête et à s’assurer qu’on donne suite aux plaintes des délinquants. Il a également l’obligation d’examiner les politiques et les pratiques du Service correctionnel du Canada (SCC) donnant lieu aux plaintes afin de cerner les carences systémiques et de formuler des recommandations en ce sens.

Lors de la dernière année, près de 8000 plaintes ont été déposées par des détenus. Avec 22 employés, ce n’est pas le travail qui manque. Avec un budget annuel de 3,1 millions de dollars (1), Howard Sapers considère qu’il s’agit d’une véritable aubaine pour le gouvernement fédéral.

Ce que l’on retient des rapports de l’Enquêteur correctionnel, c’est que les mêmes préoccupations reviennent d’année en année. Howard Sapers n’hésite pas à partager son impatience à cet effet. «Il est difficile d’accepter la lenteur avec laquelle certaines solutions aux problèmes identifiés sont mises en place. Évidemment, une partie de cette difficulté peut s’expliquer par le fait que le Service correctionnel du Canada représente une grosse organisation (13 000 détenus et 15 000 employés). Une partie du problème résulte du fait que le SCC peut identifier ses priorités, quelles que soient nos recommandations. Il peut rejeter nos préoccupations et les solutions que nous proposons.»

Beaucoup trop de délinquants purgent leur peine sans pouvoir bénéficier des programmes correctionnels dont ils ont besoin, ce qui peut augmenter les risques de récidive.

«Je m’impatiente lorsque je constate que beaucoup trop de délinquants purgent leur peine en établissement sans pouvoir bénéficier des programmes correctionnels dont ils ont besoin, ce qui peut augmenter les risques de récidive. Il en est de même pour les détenus qui vivent des problèmes de santé mentale. Ça fait plusieurs années que nous formulons des recommandations à cet effet. En toute honnêteté, je sais que le SCC ne peut tout faire en même temps. Cependant, il s’agit d’une question de priorités.»

Un manque d’infrastructure

La question des femmes détenues préoccupe aussi grandement Howard Sapers qui déplore le manque d’infrastructure. «Au Canada, il n’y a qu’un seul établissement à sécurité minimale et il est menacé de fermeture. Parce que les autres accueillent des détenus de tous les niveaux de sécurité, ils ne peuvent pas toujours répondre adéquatement aux besoins des détenues.»

Depuis octobre dernier, l’Enquêteur correctionnel enquête sur le décès d’Ashley Smith (19 ans), une détenue qui était incarcérée en Ontario. Selon CTV, elle aurait mis quelque chose autour de son cou pendant qu’elle était en cellule alors que quelques membres du personnel observaient la scène grâce aux caméras de surveillance. Ne croyant pas au sérieux de la mise en scène, ils ne seraient pas intervenus. Ces agents font maintenant face à des accusations criminelles. S’il n’a pas commenté publiquement cet événement, Howard Sapers a néanmoins rappelé ses préoccupations concernant le nombre élevé de décès et d’automutilation dans les établissements fédéraux.

D’ailleurs, un rapport publié sur le site Internet de l’Enquêteur correctionnel questionne la capacité du SCC à bien prévenir ces événements et à bien intégrer les leçons des incidents antérieurs.

Une meilleure imputabilité

Plusieurs observateurs souhaitent que l’Enquêteur correctionnel puisse avoir plus de pouvoir, notamment dans le suivi et l’implantation de ses recommandations. «En tant qu’ombudsman, nous pouvons avoir accès aux lieux, aux dossiers et aux personnes qu’une enquête requiert. C’est ce qui permet d’élaborer des recommandations rationnelles. Je ne crois pas que l’Enquêteur doit avoir les pouvoirs d’assurer l’implantation de ses recommandations. Cependant, le SCC doit rendre compte et ceci est à améliorer.»

Également, certains souhaitent que l’Enquêteur puisse déposer son rapport au Parlement plutôt qu’au ministre de la Sécurité publique. «Je dois avouer qu’il est assez particulier que celui qui doit présenter mon rapport au Parlement soit le responsable, autant sur le plan organisationnel que politique, des services correctionnels. En termes d’imputabilité, il serait peut-être plus efficace que l’Enquêteur puisse se rapporter directement au Parlement, mais il faudrait alors apporter des changements législatifs. D’ailleurs, c’est ainsi que fonctionnent plusieurs autres institutions similaires.»

Une chose est certaine, il croit que son bureau, par son indépendance, contribue à maintenir la confiance à l’endroit des services correctionnels. Même si certains croient faussement que l’Enquêteur est le porte-parole des détenus, sa présence est essentielle.

Malgré certaines frustrations, Howard Sapers mentionne que ce travail est des plus stimulants et remarque une amélioration dans la compréhension des enjeux. «Par exemple, le SCC et le gouvernement canadien ont reconnu qu’en matière de santé mentale nous vivions une crise au sein des établissements. Aussi, le SCC a mis en place un plan d’action pour les détenus autochtones.»

Cependant, il reste beaucoup à faire et les changements se font si lentement! D’ailleurs, les défis sont grands puisqu’un comité chargé d’examiner le SCC vient de recommander la possibilité de réduire les droits fondamentaux des détenus afin de les inciter à participer à leur plan correctionnel…


(1) Source : Budget des dépenses de 2006-2007, Rapport sur les plans et priorité.