Revue Porte Ouverte

Les femmes délinquantes sont-elles laissées pour compte?

Par Me Jean-Pierre Ménard

L’accueil et le traitement des personnes déficientes intellectuelles dans le système judiciaire : le barreau du Québec poursuit ses réflexions

Dans la foulée de l’affaire Marshall, le Barreau du Québec a mis sur pied un groupe de travail composé d’avocats spécialisés intervenant dans tous les aspects du processus judiciaire impliquant des personnes qui ont des problématiques de santé mentale, aux fins de réexaminer la manière dont ces personnes sont accueillies et traitées par le système judiciaire. Le rapport du Barreau est attendu au cours de l’été 20091. Le mandat du Comité de travail ne se limite pas au traitement des personnes dans le système pénal, mais porte également sur la manière dont ces personnes sont reçues et traitées devant les instances civiles.

À l’égard du traitement plus spécifique des personnes déficientes intellectuelles, les difficultés et les écueils sont nombreux lorsqu’elles se retrouvent dans le système judiciaire tant pénal que civil. L’expérience et les recherches nous enseignent en effet que les problèmes suivants se retrouvent très fréquemment vécus : insuffisance ou absence d’information sur ses droits; difficultés énormes d’accès à des services juridiques; peu d’expertise chez les avocats quant aux approches avec les personnes déficientes; complexité des procédures et des règles applicables.

Le système judiciaire civil, qui concerne tant la garde en établissement, les autorisations de traitement, les régimes de protection, ainsi que de nombreuses autres facettes de la vie des personnes, ne s’assure pas que dans les cas où sont mises en cause, la liberté, l’intégrité, l’autonomie et la sécurité de la personne, qu’elle sera représentée par un avocat à toutes les étapes du processus. Bien que les tribunaux judiciaires civils disposent déjà de certains pouvoirs discrétionnaires à cet égard, la pratique nous apprend que ces pouvoirs sont rarement exercés.

Peu de services juridiques sont offerts aux personnes, et encore moins de services spécialisés. Il y a très peu de formations et d’informations accessibles aux avocats à l’égard de cette clientèle. Il est extrêmement difficile de retenir en temps utile les services d’un avocat compétent, même si l’aide juridique parvient à combler une partie du problème. Toutefois, l’aide juridique n’assure une couverture que dans les cas où la personne voit ses droits menacés. Lorsqu’elle veut entreprendre un recours parce qu’elle a été lésée dans ses droits, l’aide juridique n’assure pas sa représentation. Beaucoup de personnes déficientes vivent également dans des conditions économiques difficiles, ce qui compromet encore davantage leurs chances d’accès à la justice.

Les personnes déficientes sont souvent ignorantes de leurs droits. Elles sont davantage à la merci de leur entourage et des divers intervenants. Or, la connaissance de ses droits est la première condition pour pouvoir les exercer. Comme les concepts abstraits sont souvent difficilement perceptibles par les personnes déficientes, il faut prendre le temps d’expliquer, avec des moyens et des niveaux de communication appropriés, les enjeux et les options juridiques pertinentes à sa situation. Il est donc important que l’avocat qui la représente comprenne la capacité et les limites de la personne et s’adapte en conséquence. Il est de première importance de trouver des moyens d’expliquer ces concepts afin de lui permettre d’exprimer ses volontés.

Le système judiciaire est froid et rigide pour les personnes déficientes intellectuelles. Il faut rechercher des moyens pour que toutes se sentent accueillies, écoutées, respectées et protégées. Par exemple, quand elles témoignent, elles seront soumises forcément à un contre-interrogatoire. Le système judiciaire est, par essence, adversatif. Témoigner debout, en présence du public entouré de micros, assorti d’un décorum particulier, est en soi impressionnant. La personne déficiente peut facilement se sentir intimidée, stressée, comme le sont d’emblée la plupart des témoins ordinaires. Ces difficultés amènent certaines personnes déficientes à abandonner leur recours ou à y renoncer.

C’est à l’ensemble de ces problématiques que s’attaque le Comité de travail du Barreau, dont la réflexion est amorcée depuis plus de deux ans. Les recommandations seront acheminées incessamment au Conseil général du Barreau pour décision. Nul doute que le Barreau du Québec proposera des correctifs importants pour permettre au système judiciaire, tant dans sa composante civile que criminelle, de rendre une meilleure justice. Il sera important que toutes les personnes et organisations concernées par l’accès, l’accueil et le traitement des personnes ayant des problèmes de santé mentale dans le système judiciaire s’impliquent dans le débat pour améliorer la situation actuelle des personnes visées et permettre un meilleur respect de leurs droits et de leurs intérêts.


1 Cet article n’engage que son auteur et ne représente pas la position finale du Barreau du Québec.