Revue Porte Ouverte

Les femmes délinquantes sont-elles laissées pour compte?

Par Propos recueillis par Marie-Andrée Proulx,
ASRSQ

Devant et derrière les barreaux

Peu de fonctionnaires se commettent à faire publiquement le bilan personnel de leur carrière et des conclusions qu’ils tirent du fonctionnement des organisations dans lesquelles ils ont évolué. Dans le domaine correctionnel, il existe bien sûr des écrits de détenus relatant ce qu’ils ont vécu au cours de leur incarcération, mais très peu d’ouvrages présentant le vécu de professionnels du milieu correctionnel. À cet égard, Willie Gibbs est un des rares hauts fonctionnaires qui ont passé l’entièreté de leur carrière dans le domaine correctionnel fédéral, y occupant des postes à tous les niveaux de la hiérarchie. Dans Devant et derrière les barreaux, qu’il vient de lancer dans sa version française, Gibbs nous présente non seulement son cheminement professionnel, mais aussi une critique personnelle du système dans lequel il a œuvré durant plusieurs années. Lors de sa visite au Salon du livre de Montréal, nous en avons profité pour tenir une entrevue avec celui qui a été à la fois haut fonctionnaire du Service correctionnel du Canada, Commissaire aux libérations conditionnelles et Président de l’Association canadienne de justice pénale.

Pourquoi

Lorsqu’on lui demande pourquoi il a voulu écrire ce livre, ce dernier répond candidement : «Je ne pense pas que tu fais 35 ans de services sans avoir appris quelque chose, sans avoir des opinions sur comment ça devrait marcher.» Et des idées critiques, Gibbs en porte quelques-unes qui lui tiennent à cœur… idées qui ne feront pas nécessairement l’unanimité, mais qui sont sujettes à mener un débat animé. Les années de services ont en effet laissé le temps au principal intéressé de développer ses propres théories quant à ce qui devrait être fait dans les services correctionnels, principalement en ce qui concerne la réorganisation entre les services offerts par les provinces et ceux offerts au fédéral.

Selon vous, pourquoi personne d’autre n’a-t-il fait cette démarche d’écriture avant?

D’abord, lorsqu’on est fonctionnaire, il faut avoir pris sa retraite pour se prononcer publiquement en son nom personnel. Et, certaines personnes, lorsqu’elles prennent leur retraite, veulent passer à autre chose. Moi, ça m’intéressait de continuer. Jusqu’à octobre dernier, j’étais président de l’Association canadienne de justice pénale. J’aime demeurer en contact avec les gens du milieu. Je fais aussi un peu de consultation dans le domaine. J’ai un bureau à Ottawa. C’est mon choix, mais il y a des gens qui ne veulent pas faire ça. Il y a d’autres gens aussi pour qui écrire, c’est un effort important parce qu’on n’est pas tous des écrivains. Moi même, j’ai trouvé la démarche d’écriture du livre demandante et je crois bien pour cette raison que ce sera mon premier et dernier livre! Une autre raison, c’est que pour écrire un livre du genre et le publier il faut s’endetter personnellement. Même si je n’ai pas eu d’objection de leur part, je n’ai pas eu non plus de soutien financier des organisations pour lesquelles j’ai travaillé afin d’écrire ce livre.

Quels sont d’après vous les défis du système correctionnel?

Les défis sont presque toujours les mêmes. D’abord, il y a un manque d’éducation presque total du public. Lorsque je parle avec des gens ordinaires, certains ne connaissent rien du système, d’autres ont des opinions arrêtées comme celle voulant que les détenus aient plus de droits que les citoyens. Quand j’étais président de la Commission nationale, je faisais des tournées médiatiques dans le but de faire comprendre le système au public et aux éditorialistes des grands journaux du pays. Je crois que c’est le genre d’exercices vers lesquels il faut aller.

On devrait aussi éliminer les petite peines d’incarcération, soit en les allongeant pour certains criminels qui ont un profil particulier ou en les changeant en d’autres mesures communautaires pour les autres. Au provincial, le personnel qui fait face à des gens qui ont de petites peines joue un rôle de gardien et non pas de soutien. Quand tu incarcères une personne pour deux semaines ou deux mois, le rôle du personnel est davantage celui de gardien, car ils ne connaissent pas les détenus. Les petites peines d’incarcération, il ne devrait pas y en avoir. Qu’est ce que ça vaut une peine de deux mois… Ça vaut rien! Ça a été prouvé. Lorsque je faisais des discours comme président de la Commission nationale, certains me disaient «c’est bon qu’ils goûtent à ce que c’est la prison». Eh bien je pense que quand tu passes une semaine durant ton procès dans une cellule, tu sais ce que c’est la prison, tu comprends comment ça marche… Pas besoin de passer 2 mois là! Pour ce qui est des infractions mineures qui ne méritent pas une sentence importante, nous devons trouver des manières alternatives, comme les peines en communauté, de purger sa peine. Pour les détenus qui sont dangereux, il faut leur donner une peine suffisante pour qu’ils soient encadrés suffisamment. Je crois que pour que l’on puisse faire quelque chose d’intéressant avec ceux-ci, toute peine d’incarcération devrait être d’au moins un an, même d’un an et demi.»

L’autre gros défi est selon moi de réaménager nos ressources entre le fédéral et le provincial. Parce qu’on dépense beaucoup de ressources et souvent on n’arrive à rien. Le budget du S.C.C. est de un milliard et demi par année et les provinces ont approximativement la même enveloppe. Avec certaines mesures, on pourrait cesser les dédoublements et probablement économiser la moitié de cette somme. Je crois que le système d’incarcération devrait être assumé au niveau fédéral et que les provinces devraient mettre leurs ressources sur la prévention et la probation. Au provincial, on dépense 80 % des ressources pour l’incarcération, mais l’incarcération représente 20 % des activités. Cela permettrait au provincial de mettre ses ressources à travailler avec ceux qui vont rester dans la communauté, à construire des maisons de transition et des programmes en communauté… Bien sûr, le provincial devrait garder quelques cellules pour les personnes en attente de leur procès. Il pourrait aussi y avoir des arrangements avec le fédéral. Même si les provinces ne pourraient probablement pas se débarrasser de toutes leurs cellules, elles pourraient se débarrasser de 75 % d’entre elles. Imaginez ce qui pourrait être accompli dans la communauté avec les ressources sauvées!

Le troisième défi est d’avoir toujours les meilleurs intervenants et les meilleures interventions possibles avec les délinquants. Au Canada, nous avons les meilleurs groupes de chercheurs au monde. Que ce soit au Service correctionnel ou sur le plan universitaire. Il en sort les meilleurs programmes qui donnent des résultats. Il est prouvé études après études que les meilleurs programmes se font dans la communauté. Dans le vrai monde. Et les meilleurs résultats sont aussi obtenus dans ce contexte. Il faut donc continuer à mettre nos ressources dans la recherche et la formation des intervenants.

Vous parlez de l’importance des programmes communautaires, on sait cependant que la pression du public se fait davantage sur les politiciens pour que l’incarcération soit plus importante, comment contrer ces résistances?

Je veux premièrement dire que, pour moi, les personnes qui commettent des crimes odieux et qui sont dangereux doivent aller en prison et recevoir une peine sérieuse. Je pense aussi que c’est sur les gens qui commencent leur vie criminelle qu’il faut mettre notre attention. Lorsque je dis que les ressources devraient être mises dans la communauté, cela ne veut pas dire que tu n’as pas des programmes de résidence ou de semi-liberté. Encore une fois, on aurait besoin de programmes d’éducation populaire pour faire comprendre au public qu’on met les «ben mauvais» en prison jusqu’à ce qu’ils soient prêts à sortir. Et que ceux qui commencent à être «mauvais», on les encadre d’une autre manière. On pourra ainsi faire comprendre que les premières sentences sont pour les plus jeunes et les plus naïfs et qu’il y a une différence avec les plus endurcis.

On sait que le domaine correctionnel n’est pas celui qui attire le plus de jeunes professionnels, que faire pour en attirer plus?

Les gens qui commencent leur carrière là-dedans doivent savoir qu’il n’y a pas souvent de gloire. Ce n’est pas une profession populaire et reconnue du public en général. Tu dois savoir ce qui se fait et être conscient que ce n’est jamais facile. Il faut avoir la patience et prendre le temps d’avoir assez d’expérience avant de commencer à se prononcer. Quand tu travailles, il y a beaucoup de bon «feed back», surtout quand les détenus sont libérés et que tu ne les vois pas revenir. Même s’il n’ y avait rien à faire avec certains, plusieurs cas avec lesquels j’ai travaillé ont été des succès… et ça c’est motivant.

Qu’est-ce que vous aimeriez qu’on retienne de ce livre?

J’aimerais premièrement que le lecteur retienne ce qu’était la situation dans les années 60 et ce qu’elle est présentement… Il y a eu de grosses améliorations qui ont été faites dans les pénitenciers et les services de libération conditionnelle. Et tout cela avait besoin d’être fait. Dans tous les chapitres, il y a quelque chose à retenir… certains sont un peu plus personnel et relatent mes relations de travail soit avec les détenus, les politiciens, les hauts placés, etc. Avant tout j’aimerais que les gens retiennent la différence entre un bureaucrate et un employé de l’État au service du public. J’ai toujours été un fonctionnaire au service du public, jamais un bureaucrate. Lorsqu’on est fonctionnaire, on n’est pas là pour servir le Ministre et le système pour le système, on est là pour servir la population qui nous concerne le plus : les délinquants. C’est sûr qu’il faut travailler pour le représentant politique, lui donner de l’information et le soutenir lorsqu’il va se prononcer sur quelque chose, mais on n’est pas là pour le servir. Dans mon livre, je nomme certains députés qui ont fait du bon travail et d’autres dont le travail ne valait rien. Bien sûr, il faut être à la retraite pour faire ça!


Note : Pour se procurer le livre, on peut téléphoner directement aux Distribution Univers au 418 831-7474.

Note bibliographique : Gibbs, Willie. Devant et derrière les barreaux, Éditions de la Francophonie, Moncton, 2005, 327 p. Disponible aussi en anglais sous le titre The pros and the cons.