Revue Porte Ouverte

Médias, opinion publique et criminalité

Par Éric Bélisle,
Groupe de défense des droits des détenus de Québec

et Résumé par David Henry,
ASRSQ

L'impact des médias sur l'opinion publique en matière de criminalité et justice pénale

En 2010, le Groupe de défense des droits des détenus de Québec (qui a changé de nom depuis pour Alter-Justice) a effectué une recherche approfondie concernant l'impact des médias sur l'opinion publique en matière de criminalité et de justice pénale. Dans le cadre de ce numéro spécial du Porte ouverte, nous vous proposons donc un résumé de ce texte. Vous trouverez l'intégralité de cette étude (38 pages) sur le site internet d'Alter-Justice.

Les médias occupent une place importante dans nos vies et font partie des sources d’information qui permettent aux gens de se forger une opinion. En matière de criminalité, près de 95 % des gens citent les médias comme première source d’information sur ce sujet1. Le dernier sondage sur la justice au Canada nous révèle que les répondants accordent plus d’importance à l’information provenant des médias qu’à celle divulguée par le gouvernement2. C’est donc dire le rôle important que jouent les médias en matière de perception de la criminalité et du système judiciaire. D’autant plus qu’en ce qui concerne le milieu carcéral, c’est souvent la seule façon pour la population de savoir ce qui se passe derrière les murs.

Quelques chercheurs se sont penchés sur la question de l’impact des médias sur l’opinion publique. Il semble que les médias influencent la perception des gens de quatre façons : en rapportant plus fréquemment les crimes extrêmes ou atypiques, en accordant beaucoup de place aux crimes graves, en choisissant davantage des crimes comportant des victimes vulnérables et des criminels invulnérables et en rapportant de façon pessimiste ce qui a trait au système de justice3.

La représentation du crime par les médias

L’équipe du GDDDQ jette assidument un regard sur l’actualité judiciaire et correctionnelle. De prime abord, nous constatons que la couverture médiatique accordée aux faits divers sensationnels semble disproportionnée. Afin de confirmer ou d’infirmer notre impression, nous avons entrepris de recenser et d’analyser rigoureusement la couverture des faits divers pendant un mois. Le résultat est frappant et sans équivoque : les médias ne reflètent pas l’image réelle de la criminalité.

Méthodologie

C'est le crime le plus grave, soit l'homicide, qui occupe le premier rang des faits divers répertoriés, et ce, malgré le fait qu'il représente seulement 0,02 % de l'ensemble des infractions.

L’équipe du GDDDQ a recensé tous les articles de nature judiciaire parus entre le 12 janvier et le 12 février 2009 dans Le Soleil et Le Journal de Québec. Seuls les faits divers concernant le Québec ont été retenus afin de les comparer avec les statistiques sur la criminalité au Québec. Par conséquent, les faits divers qui se sont produits à l’extérieur du Québec ne sont pas analysés. Les données réelles de la criminalité proviennent des statistiques sur la criminalité au Québec en 2006 qui constituaient les dernières statistiques officielles disponibles sur le site du ministère de la Sécurité publique du Québec en date du 12 février 2009.

Analyse

Un total de 141 articles ont été recensés durant cette période. La majorité (62 %) des articles sont parus dans Le Journal de Québec, contre 38 % dans Le Soleil.

Les catégories d’infraction

De prime abord, on constate une surreprésentation des crimes contre la personne et des infractions relatives à la conduite de véhicule alors que les crimes contre la propriété et les autres infractions au Code criminel sont largement sous-représentés. En effet, 62 % des articles recensés traitaient d’une infraction contre la personne. Pourtant, les crimes contre la personne représentaient 11,1 % des infractions en 2006 au Québec. À l’inverse, seulement 9 % des faits divers étaient en lien avec un crime contre la propriété alors qu’en réalité, cette catégorie d’infraction représente 56,5 % des délits commis, soit la grande majorité.

La comparaison des 5 principales infractions nous permet de constater l'attention médiatique disproportionnée accordée aux crimes graves et sensationnels. C'est le crime le plus grave, soit l'homicide, qui occupe le premier rang des faits divers répertoriés, et ce, malgré le fait qu'il représente seulement 0,02 % de l'ensemble des infractions et qu'il occupe le dernier rang de crimes commis. S'en suit l'agression sexuelle, qui se hisse au deuxième rang avec 15,7 % des articles relevés. Dans les faits, cette infraction compte pour 1,1 % des crimes enregistrés en 2006. La conduite avec facultés affaiblies fait aussi l'objet d'une surreprésentation dans les articles relevés. Seules les voies de fait occupent un rang similaire à la réalité, malgré une proportion légèrement plus élevée dans les médias qu’en réalité.

En outre, on constate que certains délits sont carrément absents des faits divers rapportés par les médias. S’il est tout à fait normal que les délits les plus rares n’aient pas fait l’objet de couverture médiatique durant la période mentionnée, on s’étonne de l’absence de certains crimes, qui forment pourtant la grande majorité des infractions réelles. C’est le cas notamment des vols et des méfaits.

Le contenu de la nouvelle

Il importe de rappeler que la présomption d’innocence est l’un des fondements premiers de notre système juridique. Ainsi, tant que la personne n’a pas été déclarée coupable par un tribunal, elle est présumée innocente. Le journaliste doit donc porter attention à la manière de rapporter les faits et l’emploi du conditionnel est tout indiqué en ce sens. Par exemple, le journaliste doit écrire « M. X aurait agressé » et non « M. X a agressé ». Il faut garder à l’esprit que ce qui est rapporté est la version d’une personne, à savoir une victime, un témoin, un policier ou encore l’accusé. Cette version peut n’être vraie qu'en totalité, en partie ou d’aucune façon. C’est au tribunal d’en décider et non au journaliste.

De même, l’utilisation, parfois subtile, d’expressions orientées démontre un glissement vers la subjectivité. On remarque ce fait particulièrement au niveau des sentences. En effet, lorsque le journaliste écrit que l’individu n’a écopé que de 6 mois, il laisse sous-entendre qu’il s’agit d’une sentence moindre que celle à laquelle il aurait dû être condamné ou qu’elle est insatisfaisante. Il en est de même lorsqu’on écrit que justice a été rendue quand une personne est reconnue coupable. L’inverse se veut beaucoup plus rare. Supposons un instant qu’une personne soit accusée faussement d’un délit et qu’elle soit finalement reconnue non coupable par le juge, écrira-t-on que justice a été rendue?

On peut mentionner également l’emploi du terme « peine à purger dans la collectivité » qui est régulièrement employé à la place de « sentence d’emprisonnement avec sursis ». Comme une majorité de gens ignore ce qu’implique ce type de sentence, plusieurs croient, à tort, que l’individu retrouve sa liberté. Le terme « dans la collectivité » invoque dans l’esprit de plusieurs la liberté de circulation et non pas l’emprisonnement à domicile.

La connotation des mots, l’emploi de stéréotypes, l’ordre dans lequel on relate les faits amènent le lecteur à se faire une opinion négative ou positive du sujet ou encore à renforcer un préjugé. « Il y a différentes façons de rapporter un événement et on doit pouvoir tirer des conséquences de l’articulation du récit de presse en ne perdant pas de vue que des images précises naissent dans l’esprit de celui qui lit un article des éléments mis en avant par la narration elle-même ».4 Les expressions « hôtels cinq étoiles » pour parler des établissements de détention ou encore des « sentences bonbons » en sont des exemples.

Conclusion

Il faut garder à l’esprit que le domaine judiciaire et criminel est un sujet sensible et empreint d’émotivité. Malgré cela, il est primordial que le journaliste fasse preuve d’une grande objectivité dans sa façon de rapporter les faits. Loin de nous de jeter tout le blâme sur les journalistes. Après tout, eux-mêmes n’ont souvent pour seule « fenêtre » que les médias. La grande majorité (voir la totalité) des chroniqueurs n’ont jamais mis les pieds dans un établissement de détention. Leur vision du système correctionnelle ne peut donc se baser uniquement que sur leur image préconçue, construite à même les médias.

Si le manque de transparence ne contribue pas à améliorer la situation et est à déplorer, la manipulation des faits et l’utilisation de la peur à des fins idéologiques par certains chroniqueurs et politiciens sont tout autant condamnables.


1 DUBOIS, Judith. La Couverture médiatique du crime organisé--Impact sur l'opinion publique? Ottawa, Gendarmerie Royale du Canada, 2002. p. 3

2 LATIMER, Jeff et Norm DESJARDINS. Sondage national sur la justice de 2007 : lutte contre la criminalité et confiance du public, Ottawa, ministère de la Justice du Canada, 2007, p. 14.

3 DUBOIS, Judith. Op. Cit. p. 6

4 SOUBIRAN-PAILLET, Francine. « Presse et délinquance ou comment lire entre les signes », dans Criminologie, Vol. 11, nº2, Montréal, 1980, p. 74