Revue Porte Ouverte

Médias, opinion publique et criminalité

Par Jean-Claude Bernheim,
Criminologue, chargé de cours, Université Laval.

La prison quel(s) droit(s) ?

Ce petit livre est le compte rendu d’un colloque qui a permis à des politiciens, de hauts fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ou de l’appareil d’État, de médecins, des juges, des avocats, des universitaires et finalement de « témoins », de faire part de leur analyse sur le(s) droit(s) en prison. Nous n’avons pas l’espace pour être exhaustif, par conséquent nous nous en tiendrons à quelques constats « subjectifs ».

Étant donné qu’en France « la durée moyenne de détention, s’élève à 8,4 mois », que « 631 963 condamnations ont été prononcées en 2009 et inscrites au Casier judiciaire », que l’administration pénitentiaire a un budget annuel de « 2,24 milliards d’euros », nous apprécions que l’ex-directeur de l’Administration pénitentiaire, monsieur Claude Harcourt, note que « pour la personne détenue, le droit a peu de signification s’il reste une abstraction; ce qui va compter, c’est son effectivité, sa mise en œuvre concrète, sa matérialité » (p. 58).

Madame Valérie Lebrun, directrice de la prison d’Ittre (Belgique), fait une analyse cinglante : « la loi de principes (instaurant un statut juridique interne des détenus, de 2005) n’est pas portée par le politique mais exclusivement par les acteurs de terrain qui tentent de s’en inspirer », ce qui n’exclut pas « une réelle réticence de la part de divers acteurs du monde pénitentiaire » (p. 85).

Madame Martine Lebrun, présidente de l’Association nationale des juges d’application des peines, manifeste une indépendance d’une rare rigueur en affirmant, entre autres, « ce n’est pas le judiciaire qui est le maître d’ouvrage, c’est le pouvoir politique. Qui fait la loi? Qui décide de construire… ? » Après avoir exposé le rôle et les contraintes auxquelles font face les juges d’application des peines, elle conclut par cette phrase que nous pourrions reprendre au Canada : « Mon souhait serait qu’un jour, un pouvoir politique ait le courage de reconnaître et de rendre leur intelligence aux magistrats » (p. 110).

L’exposé de monsieur André Page, directeur du Centre pénitentiaire de Nantes, nous permet de répéter que si l’on ne remet pas en question les principes relatifs à l’usage de la prison et les principes relatifs à la gestion de la prison, quelque soit les réformes engagées, y compris l’introduction des droits des détenu-e-s, tout concoure à une bureaucratisation accélérée, particulièrement dans un contexte permanent de surpopulation.

Madame Marie-Paule Héraud, membre de l’Association nationale des visiteurs de prison, pose des questions fondamentales : « À Limoges, 75 % des personnes incarcérées sont là pour une condamnation d’un an ou de moins d’un an. Toutes ces personnes ont-elles besoin d’être incarcérées ? Pourquoi incarcère-t-on des personnes pour 15 jours, pour trois semaines, pour un mois ? Avec toute la batterie de mesures alternatives à l’incarcération que l’on possède désormais ». (p. 155).

Ainsi, malgré certains exposés strictement factuels, il n’en demeure pas moins que cette lecture devrait susciter une réflexion judicieuse par rapport au mutisme des administrateurs correctionnels canadiens et des juges au sujet de l’institution carcérale.

Nonobstant les critiques fermes présentées, nous reconnaissons et constatons que le concept de droits des détenu-e-s s’inscrit de plus en plus dans le discours des décideurs, qu’ils soient fonctionnaires ou politiciens, mais que le fondement politique et philosophique de la prison et de l’usage de la prison ne sont surtout pas remis en question. Malheureusement, nous devons conclure que la prison « politique » a encore de longs jours devant elle.


Coordination éditoriale de Hélène Pauliat, Éric Négron et Laurent Berthier. Presses universitaires de Limoges, 2013, 168p.