Revue Porte Ouverte

Médias, opinion publique et criminalité

Par Marlène Falardeau,
Erg. Ph.D., professeure au département d'ergothérapie, Université du Québec à Trois-Rivières

Julie Bellemare,
Étudiante à la maîtrise en ergothérapie, Université du Québec à Trois-Rivières

et Jessica Morin,
Étudiante à la maîtrise en ergothérapie, Université du Québec à Trois-Rivières

Quelques pistes pour la réhabilitation de jeunes détenus

Introduction

Le gouvernement canadien actuel réclame un système de justice plus répressif caractérisé, entre autres, par plus d’incarcérations et des peines plus longues. Il croit qu’il faut exclure « les déviants » de la société pour que nos rues soient sécuritaires. Pourtant, selon de récents sondages, 90 % des Canadiens affirment se sentir en sécurité (Demers, 2013).

Les prisons sont déjà surpeuplées. Au cours d’une journée typique, en 2010-2011, un peu plus de 37 490 contrevenants canadiens adultes, principalement des jeunes hommes de moins de 25 ans, étaient maintenus en détention (Dauvergne, 2012). Les jeunes détenus que nous avons interrogés, dans une prison provinciale, ont clairement mentionné qu’ils n’avaient pas, ou pas suffisamment, accès à des programmes d’activités signifiantes à l’intérieur des murs. Ces jeunes hommes, âgés de 19 à 25 ans, avaient commis des gestes violents de type voies de fait avec lésions. Leurs sentences variaient de 5 à 23 mois. L’intervieweur leur a demandé, par exemple : « Comment passes-tu ton temps actuellement? Qu’est-ce que tu aimes? Qu’est-ce que tu n’aimes pas? Que crois-tu que tu feras quand tu sortiras d’ici? Que faisais-tu avant d’entrer en détention? » Les données des 16 entrevues ont été constamment comparées pour découvrir des thèmes. L’objectif de cet article est de transmettre les résultats de cette étude, puis de proposer quelques pistes pour la réhabilitation intramurale.

Les activités durant l’incarcération

L’analyse du discours des jeunes démontre qu’ils perçoivent les activités en détention de trois façons : la privation, l’enrichissement et la quête. La privation occupationnelle réfère à une absence d’activités au-delà du contrôle de la personne et qui dure un certain temps. En prison, les jeunes disent qu’ils s’ennuient : « Il y a bien trop de temps à ne rien faire ». La privation occupationnelle renvoie aussi à un manque de choix d’activités. Quelques activités sont disponibles, mais plusieurs jeunes signalent qu’elles ne sont pas (ou très peu) reliées à leurs besoins. « Il y a les AA le lundi, la messe le jeudi. Je ne suis pas alcoolique, puis je ne suis pas vraiment catholique, donc je n’y vais pas ». Parmi les activités non signifiantes, l’atelier de travail a aussi été nommé. La plupart des jeunes ne voient pas le lien entre les tâches de cet atelier et leurs occupations à l’extérieur de la prison.

Bien qu’un manque sur le plan occupationnel se dégage manifestement du discours des jeunes, il existe, dans l’enceinte carcérale, quelques activités importantes pour eux (enrichissement occupationnel). Certains sont satisfaits de pouvoir y poursuivre leurs études. D’autres aiment s’entraîner au gymnase, jouer au volley-ball ou participer à des activités ludiques ou saisonnières particulières. Ils ont insisté particulièrement sur les activités sportives et musicales.

Cependant, la majorité des jeunes ont mentionné qu’ils devaient « se battre » pour accéder à ces activités (quête occupationnelle). « Il y a deux semaines, ils ont sauté le lundi et on était censé en avoir le jeudi (accès au gymnase).  Puis rendu au jeudi, il a fallu qu’on les menace d’une émeute pour en avoir le lendemain, vendredi, alors que ce n’était pas notre journée. Donc, ils ont coupé un autre secteur qui n’était pas critique pour nous le donner pour qu’on se calme ».

L'un des objectifs est de réintégrer la personne dans l'ordre d'une loi de vie humaine (adaptation aux différences et interdit de violence) et sociale (travail) et non pas d'une loi du plus fort ou d'une relation duelle domination / soumission.

Les activités avant l’incarcération

Les jeunes détenus ont été questionnés sur les activités qu’ils faisaient avant d’être incarcérés. L’exploration de ces activités nous éclaire sur quelques-uns de leurs besoins. Cinq besoins ont été identifiés :

La diversité

La grande majorité des jeunes aiment s’engager dans une diversité d’activités. Ils veulent explorer, repousser des limites et apprendre. De plus, plusieurs souhaitent, dans cette diversité, pouvoir bouger physiquement. 

La direction personnelle 

Quand on a soif de liberté et « d’empowerment », se faire dire quoi faire par les autres n’est pas bienvenu. La plupart des jeunes ont souligné qu’ils voulaient sentir qu’ils dirigeaient leur vie et qu’ils souhaitaient être leur propre patron. 
L’argent. Faire de l’argent, et ce, facilement et rapidement, se trouve parmi les objectifs prioritaires de la plupart des jeunes quand ils choisissent leurs activités. Est-ce surprenant dans un monde où on vante, entre autres, les mérites de la richesse matérielle? 

Le risque

À travers des conduites à risque, les jeunes ont indiqué qu’ils se sentent puissants. L’aventure, attirante, les oblige à n’être que dans le moment présent et dans l’intensité. 

L’acceptation sociale

Finalement, être bien avec sa solitude n’est pas envisageable. Être seul signifie perdre sa valeur personnelle, « être anéanti », ne pas exister. Ainsi, les jeunes recherchent la compagnie des autres et la création de liens. Ensemble, ils se sentent « quelqu’un ». Le groupe donne une identité.

Quelques pistes pour l’intervention

À la lumière des témoignages, des pistes pour l’intervention en milieu carcéral peuvent être suggérées. Toute activité où le jeune détenu sera appelé à canaliser physiquement son énergie (ex. participer à des sports, marcher, etc.) et toute activité offrant des possibilités d’expression et de créativité (ex. composer des paroles de chanson, préparer un spectacle, etc.) sera appréciée. De surcroît, en raison du besoin d’explorer et de relever des défis, de nouvelles activités devraient être présentées aux jeunes (ex. infographie, théâtre, etc.). Toutes ces activités constituent des opportunités d’autonomie et de développement de capacités.

En réhabilitation, les activités devraient être tributaires d’un projet éducatif ou thérapeutique, de la disponibilité du matériel, des compétences du personnel, des espaces, des partenariats avec la communauté, et des intérêts et des besoins des détenus. Si des produits issus d’ateliers de travail (ex. paravents, meubles en osier, etc.) étaient mis en vente, les jeunes devraient être amenés à participer à la gestion d’aspects financiers, comme l’a suggéré Tournier (2012). Il pourrait en résulter une modification de leur conception de l’argent.

C’est en s’impliquant dans des activités signifiantes qu’un individu définit qui il est, ce qu’il aimerait devenir (identité occupationnelle) ainsi que ce dont il est capable (performance occupationnelle). Il peut y acquérir un nouveau répertoire d’habiletés, rétablir celles qui ont été perdues ou affectées, ou les utiliser différemment. La compétence occupationnelle dans les activités quotidiennes dépend d’interactions complexes entre l’individu, ce qu’il fait et son environnement. Son bien-être, physique, psychique et social est directement relié à la qualité de ces interactions. Au sein de l’interaction occupations-personne-environnements, se trouve un potentiel de changement.

L’un des objectifs est de réintégrer la personne dans l’ordre d’une loi de vie humaine (adaptation aux différences et interdit de violence) et sociale (travail) et non pas d’une loi du plus fort ou d’une relation duelle domination/ soumission. En s’engageant dans des activités diversifiées, les individus ne sont pas confinés dans un rôle de prisonnier; ils sont aussi horticulteurs, serruriers, footballeurs, etc. Le personnel et les gestionnaires sont alors moins préoccupés par les rébellions collectives, les complots et les évasions, comme ce fut démontré par Roth (2008).

La privation et la quête occupationnelles doivent être remplacées par l’enrichissement occupationnel. Pour ce, la personne, seule ou avec d’autres, doit avoir des opportunités de s’engager dans une variété d’occupations, incluant l’accès à des activités dans la communauté et à l’emploi. Il s’agit d’un défi dans les milieux sous sécurité, comme les prisons; les thérapeutes doivent être créatifs (Cronin-Davis, 2006).

Conclusion

Une personne qui n’a pas d’occupations signifiantes peut facilement glisser dans un chaos (Christiansen & Townsend, 2010). L’incarcération crée une privation occupationnelle qui augmente les risques de désorientation, de dépression ou d’agression, brimant ainsi les chances de réintégrer la société. Plusieurs études ont démontré qu’à long terme, cela est loin de servir les intérêts d’une société (Whiteford, 2000).

Afin que les jeunes cessent de se trouver devant un vide ou comme seule option l’illégalité, lorsqu’on les interroge sur les activités qu’ils entrevoient pour eux-mêmes dans le futur, il importe d’investir davantage dans la réhabilitation intramurale. Le niveau de bien-être des jeunes durant l’emprisonnement pourrait être augmenté et la réintégration sociale facilitée; par conséquent, les taux d’évasion, d’infractions et de récidives pourraient être à la baisse. Un véritable projet de société pourrait naître.


Bibliographie

Christiansen, C.H., & Townsend, E.A. (2010). Introduction to occupation; The art and science of living: New multidisciplinary perspectives for understanding human occupation as a central feature of individual experience and social organization. Upper Saddle River, N.J.: Pearson.

Cronin-Davis, J. (2006). Personality disorder: occupational therapy inclusion. In Long, C. & Cronin-Davis, J. Occupational therapy evidence in practice for mental health. Oxford, Angleterre : Blackwell publishing.

Dauvergne, M. (2012). Statistiques sur les services correctionnels pour les adultes au Canada, 2010-2011. Juristat, statistique Canada, no 85-002-X au catalogue.

Demers, J-A. (real.) (2013). Double occupation. Enquête, programme télévisé, Radio-Canada, 7 mars, 21h00.

Roth, È-M. (2008). Les ateliers d'ergothérapie dans un service psychiatrique fermé. Travailler, 1(19), 81-102.

Tournier, P. (2012). Dialectique carcérale; Quand la prison s'ouvre et résiste au changement. Paris : L'Harmattan.

Whiteford, G. (2000). Occupational deprivation: Global challenge in the new millennium. British journal of occupational therapy, 63, 200-204.