Revue Porte Ouverte

Regards croisés autour des pratiques d'intervention communautaire

Par Jean-Pierre Piché,
Président du CRC Le Pavillon, membre du C.A. de l'ASRSQ et responsable du comité de réflexion sur les pratiques d'intervention communautaire

Les pratiques d'intervention des organismes communautaires oeuvrant auprès des personnes contrevenantes : enjeux et perspectives

En mars 2012, lors de la publication du Porte ouverte portant sur le 50e anniversaire de l'ASRSQ, nous avions faire paraître un article synthèse du rapport soumis par le comité de travail sur les pratiques d'intervention des organismes communautaires œuvrant auprès des personnes contrevenantes. Aujourd'hui, dans le cadre d'un numéro spécial sur les pratiques d'intervention, il nous est apparu pertinent de présenter les grandes lignes du rapport afin de bien mettre en contexte le nouveau lectorat et de rafraîchir la mémoire des lecteurs qui ne seraient plus au fait des travaux du comité. L'article suivant est donc une republication de cette synthèse rédigée par Jean-Pierre Piché, puisqu'il aurait été difficile de mieux ré-écrire l'essentiel du rapport.

La réhabilitation des personnes contrevenantes et leur réinsertion au sein de la communauté constituent l'essence même de la mission des membres de l'ASRSQ et c'est à travers les pratiques d'intervention que s'actualise cette mission. À la faveur du cinquantième anniversaire de l'Association, il nous est apparu essentiel de prendre un temps d'arrêt pour réfléchir sur ces pratiques : quelles sont-elles en 2012? S'inscrivent-elles toujours dans la voie tracée voilà 50 ans? Vers quoi tendent-elles?

Le présent article se veut une synthèse du rapport déposé en mai 2012 à la demande du C.A. de l'ASRSQ sur la question des pratiques d'intervention. Il propose une réflexion d'ensemble autour des enjeux suivants :

  • Le caractère spécifique de l'intervention communautaire;
  • La responsabilité clinique de l'intervention et le partage des responsabilités avec les réseaux institutionnels;
  • Les modèles d'intervention, les approches, les techniques et les outils cliniques;
    la qualité de l'intervention;
  • Le caractère spécifique de l'intervention en milieu communautaire.

S'il est une question qui préoccupe les intervenants des différents organismes membres de l'ASRSQ, c'est bien celle de leur identité propre, notamment ce qui les distingue, au plan de l'intervention, des réseaux institutionnels. En fait, l'intervention communautaire, telle que pratiquée par les membres de l'ASRSQ, prend appui sur des valeurs et des principes dont les axes porteurs sont l'enracinement dans la communauté, l'autonomie, la réhabilitation et la réinsertion des personnes contrevenantes de même que la prévention.

L'enracinement dans la communauté évoque les différents partenariats, la reconnaissance et l'acceptation par le voisinage de la mission et des activités des organismes. Il représente une condition essentielle à la réhabilitation et à la réinsertion des personnes contrevenantes telles que développées et appliquées par les membres de l'ASRSQ. Cependant, tisser, maintenir et développer des liens avec des représentants de la communauté n'est pas chose simple. En effet, les préjugés sont souvent bien ancrés, les résistances parfois fortes et l'énergie requise importante. Rien n'est jamais acquis en cette matière. Le contexte actuel de «production» et de «normalisation» auquel doivent de plus en plus faire face plusieurs organismes ne facilite pas les choses non plus. Ces exigences supplémentaires font en sorte que le partage d'expériences communautaires «à succès», le soutien ainsi que la solidarité entre membres de l'ASRSQ sont devenus essentiels à un meilleur enracinement dans la communauté.

L'autonomie des organismes eu égard à l'intervention constitue une autre composante déterminante du caractère spécifique de l'intervention communautaire. Nous référons plus particulièrement à l'autonomie vis-à-vis les normes et procédures des différents partenaires institutionnels ainsi qu'à l'autonomie quant à la manière de travailler avec le client. Malgré les diverses obligations qui leur sont souvent faites, les organismes conservent leur manière très personnelle de considérer le client, de répondre à ses besoins et de réaliser les interventions. La couleur spécifique du communautaire s'affirme donc encore et toujours de multiples façons, mais son autonomie doit sans cesse être «défendue».

La réhabilitation et la réinsertion représentent, quant à elles, l'essentiel des interventions réalisées par les intervenants du milieu communautaire. Elles s'appuient sur une expertise reconnue et s'articulent d'abord autour d'un projet pour chaque personne contrevenante en tenant compte de ses capacités, de l'ensemble de ses besoins et de sa situation. Elles nécessitent une connaissance de la personne, de son histoire et de son environnement, pour la mobiliser ainsi que la communauté autour de ce projet.

Enfin, la présence d'une pensée préventive vient compléter les principaux aspects du caractère spécifique de l'intervention communautaire en ajoutant une vision qui va au-delà de la mesure correctionnelle en tant que telle. Prévoir et prévenir, autant que faire se peut, exige une proximité avec la personne contrevenante et son réseau de même que l'établissement d'un lien de confiance lequel persistera bien souvent après la fin du mandat légal et pourra, dans certains cas, limiter les rechutes.

La responsabilité clinique de l'intervention et le partage des responsabilités avec les réseaux institutionnels

La responsabilité clinique représente une autre préoccupation importante pour les intervenants du réseau communautaire. Elle s'avère souvent complexe notamment en raison de sa contiguïté avec la responsabilité légale. Elle comporte plusieurs aspects et renvoie à différents contextes. Trois aspects principaux ont été retenus aux fins de réflexion sur la base de la meilleure réponse possible aux besoins de la personne.

L'évaluation de la situation et des besoins de la personne contrevenante, l'élaboration, la réalisation et à la révision de son plan d'intervention représentent le premier de ces trois aspects. Selon le contexte dans lequel se déroulera l'intervention, la réalité pourra différer. Ainsi, lorsque l'évaluation de même que l'élaboration du plan d'intervention appartiennent à une instance extérieure, la responsabilité clinique s'actualisera principalement dans le choix des moyens à utiliser avec la personne contrevenante. Cela dit, il importe pour les intervenants de partager les objectifs des plans d'intervention qui leur sont transmis. La marge de manœuvre pourra varier selon les situations, mais il demeure que les intervenants ne sont pas sans un certain pouvoir d'influence à cet égard. Dans les situations où l'évaluation et les plans d'intervention sont sous la responsabilité du communautaire, la responsabilité clinique sera assumée dans l'entièreté du processus.

La confidentialité et l'accès à l'information constituent le second volet de la responsabilité clinique. Il est implicite que pour intervenir de manière adéquate auprès d'un client, il faille disposer de toute l'information pertinente sur sa situation. Dans la majorité des cas, l'accès à l'information nécessaire ne pose pas problème. Toutefois, il arrive que des données essentielles ne soient pas transmises entre autres pour des raisons de confidentialité. Tout en respectant l'esprit des exigences légales en cette matière, il importe de trouver les solutions qui, non seulement permettront aux intervenants communautaires d'intervenir de manière plus éclairée, mais pourront aussi éviter que des situations dramatiques ne surviennent.

La responsabilité face aux personnes contrevenantes elles-mêmes ainsi qu'aux communautés représente le dernier aspect de la responsabilité clinique. Celle-ci s'actualise essentiellement dans le cadre des programmes dispensés par chaque organisme et par le biais de l'ensemble des interventions effectuées. D'ailleurs à ce chapitre, les organisations ont mis en place au fil du temps de nombreux mécanismes internes permettant de s'assurer de l'exercice adéquat de cette responsabilité : supervision professionnelle, études de cas, formation, évaluation annuelle, etc. La responsabilité face aux personnes et face à la communauté occupe une place centrale dans les préoccupations des intervenants communautaires.

Les modèles d'intervention, les approches, les techniques et les outils cliniques

Cela a été mentionné, les intervenants communautaires sont reconnus pour leur expertise et pour la qualité des services qu'ils offrent à la clientèle des personnes contrevenantes. Cette expertise s'est construite sur plusieurs décennies et continue de se développer non seulement sur la base d'un savoir-être, mais également en s'appuyant sur des connaissances issues entre autres de la mise à contribution de modèles théoriques, d'approches cliniques, de techniques et d'outils. Tout en demeurant le libre choix des organismes, ces modèles, approches, techniques et outils sont considérés comme essentiels de la part des intervenants et ce pour plusieurs raisons :

  • Leur utilisation permet de fournir une réponse plus efficace et plus appropriée aux besoins de la clientèle particulièrement en favorisant une perception plus juste de la situation du client, de ses forces et ses fragilités et en facilitant un démarrage plus rapide des actions susceptibles de produire des résultats;
  • De là, ils contribuent à l'amélioration de la qualité des services en offrant un support à la détermination du choix de l'orientation et en développant l'utilisation d'un langage commun entre les intervenants. Celui-ci facilite les collaborations multidisciplinaires et renforce la cohérence des interventions dispensées; 
  • Leur emploi affermit le soutien au travail des intervenants en augmentant leur sentiment de compétence et de sécurité de même que leur autonomie professionnelle. Il favorise de plus une prise de distance indispensable avec les cas les plus lourds et devient de la sorte un antidote efficace à l'épuisement professionnel. Il ajoute enfin à la crédibilité et au pouvoir d'influence des intervenants;
  • La mise à contribution des modèles, approches et outils encourage la stimulation professionnelle des intervenants, mais nécessite l'adhésion essentielle du personnel, le soutien de l'équipe de même que de la formation sur une base continue;
  • Elle facilite grandement l'évaluation des résultats des interventions en établissant des attentes plus claires avec le client en fonction de sa situation réelle et en fournissant des critères de base pour évaluer;
  • Elle procure enfin un filet de sécurité notamment dans les zones grises de l'intervention.

La qualité

La qualité constitue le dernier sujet abordé à la faveur de cette réflexion sur les pratiques d'intervention en milieu communautaire. Quelles sont les différentes facettes du concept de qualité? Quels sont les mécanismes propres à assurer la qualité des interventions et existent-ils des standards minimaux en matière de qualité au sein des organismes membres de l'ASRSQ? Voilà autant de questions qui soulignent bien toute l'importance accordée à ce volet particulier de l'intervention.

La principale préoccupation manifestée par les membres de l'ASRSQ en matière de qualité concerne évidemment les services offerts dans le cadre de leur mission propre et les résultats attendus avec la clientèle. En effet, il importe non seulement d'offrir à la clientèle des services de qualité, mais également de pouvoir évaluer les impacts de ces interventions. En ce sens, l'absence de récidive fait obligatoirement partie des indicateurs de «réussite» et éventuellement de la qualité, mais la mesure des effets des interventions réalisées doit dépasser cette seule donnée. À ce chapitre, l'un des incontournables est le degré de satisfaction de la clientèle. En effet, malgré sa subjectivité évidente, il n'en demeure pas moins essentiel à l'amélioration de la qualité. D'ailleurs, un survol effectué à l'hiver 2011 auprès des organismes membres de l'ASRSQ confirme que la très grande majorité a intégré cette appréciation dans leur mode de fonctionnement.

Les mécanismes propres à assurer et évaluer la qualité des interventions occupent également une place importante dans le quotidien des organismes. On y retrouve en effet une panoplie de dispositifs et d'outils qui témoignent de la part des intervenants et des corporations d'un sens des responsabilités et d'un désir constant d'amélioration eu égard à la qualité. À titre d'exemple, mentionnons les formulaires d'évaluation de la satisfaction de la clientèle, les questionnaires post suivis individuels, des grilles diverses, les rencontres d'équipe, la supervision clinique formelle et informelle, la lecture de dossiers, les études de cas, la formation du personnel en cours d'emploi, la boîte à suggestions, le programme d'appréciation de la contribution du personnel, l'évaluation annuelle du personnel, la démarche de certification, la planification stratégique, etc.

Enfin, c'est à l'aulne de standards minimaux que peut véritablement s'évaluer la qualité. Sans qu'ils soient énoncés clairement dans des documents officiels de l'ASRSQ, plusieurs organismes considèrent comme essentielle la disponibilité de standards de pratique minimaux. Selon la réalité de chacun des organismes, ces standards peuvent varier, mais certains paramètres auraient avantage à en faire partie. Ce sont plus spécifiquement :

  • Une supervision clinique obligatoire, dispensée par un personnel compétent à l'interne des organismes;
  • Des formations pertinentes à l'utilisation d'approches reconnues;
  • Une tenue de dossiers rigoureuse;
  • La planification et la réalisation des interventions sur la base d'une évaluation rigoureuse;
  • La réalisation d'un bilan d'intervention;
  • Un code d'éthique propre à chaque organisme;
  • Un mécanisme interne d'évaluation de la qualité.

Conclusion

Les pratiques d'intervention sont au cœur des préoccupations de l'ASRSQ et de ses membres depuis ses tout débuts. Qu'il s'agisse du désir de maintenir et de développer une intervention spécifique, d'assumer la pleine responsabilité des interventions effectuées, de mettre à contribution différents modèles, approches et techniques ou encore de s'assurer de la qualité du travail réalisé, tout cela rend compte de l'engagement soutenu et inaltérable des organismes membres de l'ASRSQ envers les personnes contrevenantes et les communautés dans le traitement de la délinquance.

Si le passé est garant de l'avenir, à l'aube du prochain demi-siècle, nul doute que cet engagement si essentiel continuera de croître.