Revue Porte Ouverte

Regards croisés autour des pratiques d'intervention communautaire

Par Éloïse Meunier,
Chargée de projet, ASRSQ

Sur l'évolution des pratiques et l'enracinement dans la communauté

Entrevue avec Gaétan Cloutier, ancien directeur général du Service d'aide en prévention de la criminalité (SAPC)

ASRSQ : Vous avez été directeur général du Service d'aide en prévention de la criminalité (SAPC), à Sherbrooke. Pouvez-vous situer à quelle période vous avez assumé cette fonction ?

G. Cloutier : Quand j'ai quitté, en septembre 2011, j'étais à quelques semaines de ma 31e année de service. Pendant les dix premières années, j'ai assumé différents rôles cliniques et c'est en 1991 que j'ai occupé la fonction de directeur général.

ASRSQ : Pouvez-vous nous parler du mandat de l'organisme?

G. Cloutier : C'est un mandat qui a évolué au cours des années et particulièrement depuis la dernière décennie. Le mandat initial était davantage axé sur la réinsertion sociale et sur la mise en place de programmes favorisant la réhabilitation sociale des personnes contrevenantes, comme la plupart des organismes comme les nôtres au Québec. Puis, avec le temps, nous avons élargi ce mandat et nous nous sommes plutôt définis comme un organisme de prévention de la criminalité. En plus d'offrir des services directement aux personnes contrevenantes, permettant d'éviter la récidive en prévention tertiaire, nous avons instauré et collaboré à la mise en place de programmes de prévention secondaire en ciblant les personnes qui sont à risque de commettre un geste criminel. C'est ce volet de l'intervention qui fait la particularité du SAPC.

ASRSQ : Puisque cette édition du Porte ouverte s'intéresse aux pratiques d'intervention du réseau communautaire, pouvez-vous nous parler du développement de ces différents programmes?

G. Cloutier : Au départ, avec la maison de transition, il a fallu instaurer un programme structuré favorisant la réinsertion sociale. À mon arrivée en 1982, ces programmes étaient déjà établis et les objectifs étaient clairs. L'organisme avait fait le choix d'une approche d'intervention particulière afin d'atteindre une certaine cohérence dans l'intervention. Au cours des années, la mise en place de programmes a favorisé la création de liens avec d'autres organismes de notre communauté, pouvant aussi soutenir la démarche de réinsertion de nos résidents.

En plus d'offrir des services directement aux personnes contrevenantes, permettant d'éviter la récidive en prévention tertiaire, nous avons instauré et collaboré à la mise en place de programmes de prévention secondaire en ciblant les personnes qui sont à risque de commettre un geste criminel.
Puis, le fait d'intervenir auprès de cette clientèle nous a amené à constater certaines problématiques ne trouvant pas réponse à l'intérieur de programmes existants. C'est à ce moment que certains programmes spécifiques ont été développés. Par exemple, l'arrivée d'un programme en toxicomanie a culminé avec la création de l'Étape. De plus, le constat qu'il n'y avait pas de services adaptés pour les agresseurs sexuels a donné naissance à l'organisme CIVAS, qui a pris son expansion par la suite.

Nous nous sommes aussi aperçus que les hommes agressés sexuellement durant leur enfance avaient un vécu très lourd à porter et que cette problématique n'avait jamais été prise en charge. Nous avons alors mis en place un programme d'aide pour ces hommes, en allant chercher de la formation à Montréal auprès de l'organisme CRIPHASE. Aujourd'hui, le programme SHASE de Sherbrooke est ouvert tant aux résidents qu'à une clientèle non judiciarisée.

En prévention secondaire, chez les personnes à risque de commettre un geste criminel, nous avons développé la plupart de nos programmes récents. En fait, c'est en s'intégrant à notre communauté et en se faisant connaître des autres organismes que nous avons décidé d'élargir notre mission. Par exemple, nous avons collaboré à la mise sur pied d'une fiducie volontaire. C'est un autre organisme qui soutient et qui offre le programme, mais c'est intéressant d'y collaborer. Nous avons aussi développé des ententes avec l'Office municipal d'habitation de Sherbrooke, puisque les hommes étaient nombreux à avoir de la difficulté à trouver du logement. C'était assez pénible car ils ne répondaient pas toujours aux critères de l'Office. Finalement, nous avons pu développer une entente pour le programme QUALILOGIS. Ce que je dis toujours c'est : «On sait où ça commence, mais on ne sait jamais où cela finit!» L'important, je pense, c'est qu'il faut toujours se définir comme un organisme qui répond à des besoins de personnes en difficulté; c'est ce qui doit être notre modus vivendi.

ASRSQ : En tant que directeur général, quels grands défis les pratiques d'intervention vous ont-elles posées?

G. Cloutier : Il y a eu les défis plus politiques reliés aux programmes afin d'assurer notre spécificité et notre autonomie. C'est important d'être en arrimage avec les programmes correctionnels si nous voulons établir une continuité. À cet égard, je trouve qu'il y a eu quelques ratés au fils des années. Sans trop de discussions avec le réseau communautaire, les programmes correctionnels fédéraux se sont imposés. Il a fallu se positionner par rapport à notre mandat. Est-ce qu'il fallait délaisser nos programmes pour laisser la place aux programmes du Service correctionnel? Est-ce qu'on devait plutôt essayer de maintenir nos propres programmes et voir comment faire des aménagements en fonction de leurs programmes? À ce niveau, si c'était à refaire, je pense que nous devrions regarder ensemble nos mandats respectifs, voir quel est le rôle de chacun et ce que nous pouvons faire pour améliorer la continuité de nos services. «Avoir un entêtement tranquille», c'est l'expression qui me vient en tête. Il faut avoir confiance en ce que nous faisons et en en nos résultats. J'ai en tête des programmes en toxicomanie, en délinquance sexuelle, ou en santé mentale. Certains d'entre eux n'ont pas pu se maintenir à cause de cette imposition. C'est bien dommage. Nous aurions eu l'occasion de conjuguer nos expertises d'une belle façon. Après tout, le développement du réseau des maisons de transition au Québec s'est fait avec un soutien exceptionnel des services correctionnels.

ASRSQ : Au fil du temps, avez-vous été en mesure d'observer des changements dans les pratiques d'intervention?

G. Cloutier : Au début des années 1980, les intervenants communautaires avaient une marge de manœuvre beaucoup plus importante au niveau du choix des moyens d'intervention. À l'époque, j'avais le temps de partir un après-midi avec un de mes résidents en recherche d'emploi, de l'accompagner et de le soutenir face à un refus d'embauche et l'aider à frapper à la prochaine porte. Aujourd'hui, pour plusieurs bonnes raisons dont la quantité de rapports à produire, je ne pense pas que les intervenants communautaires ont le temps de faire ce genre d'intervention. Le nombre de rapports à produire n'est pas proportionnel à l'augmentation de la sécurité du public. Les intervenants actuels passent moins de temps dans le «vivre-avec» que nous pouvions le faire dans les années 1980. Nostalgie? Non, il faut sauvegarder notre autonomie de moyens et maintenir le contact direct avec la personne. L'intervention communautaire ne se définit pas uniquement comme une intervention de bureau. Oui, ça prend des entrevues structurées par des professionnels, mais le «vivre-avec» est un aspect très important qui, malheureusement, a diminué avec l'augmentation des exigences bureaucratiques.

Par ailleurs, où les choses se sont améliorées, c'est au niveau de la formation. L'ASRSQ joue un rôle important sur ce plan. La formation favorise une cohésion d'équipe grâce à une approche bien définie et des intervenants bien formés. Ainsi, le nouveau défi pour l'ensemble des organismes, c'est la rétention du personnel. Cela se vit peut-être un peu moins dans une région comme Sherbrooke, parce qu'il y a moins d'opportunités d'emploi, mais dans plusieurs régions cette problématique est criante.

Des citoyens ont été invités à visiter nos locaux pour leur présenter le travail quotidien d'une maison de transition. En fait, nous avons le devoir d'expliquer nos missions à la population.

ASRSQ : Le rapport sur les pratiques d'intervention met de l'avant l'importance de l'enracinement dans la communauté. La région de Sherbrooke est souvent citée comme un modèle dans le développement d'un véritable réseau communautaire autour des personnes contrevenantes. Comment est-ce que l'organisme parvient à créer ces partenariats ou à développer cette présence au sein de votre communauté?

G. Cloutier : De tout temps, la présence des bénévoles dans notre organisation a été importante. D'abord, nous avons réussi à créer des liens avec des gens de la communauté qui agissent bénévolement auprès de nos résidents. Le SAPC a toujours eu des bénévoles impliqués au niveau du contact et de l'accompagnement de la clientèle.

Ensuite, l'appui d'un conseil d'administration est primordial. Au SAPC, nous avons développé des postes qui n'étaient pas prévus dans la grille de per diem, afin de dégager le directeur général ou même d'autres membres du personnel pour aller faire ce travail dans la communauté et aller vers les autres organismes. Nous avons pris ce risque parce que nous y avons cru. Prenons strictement la grille de financement du per diem, à quel endroit est-ce prévu? Nulle part. Mais il fallait le faire. Alors, nous avons eu la participation des membres du conseil qui se sont impliqués corps et âme dans le développement et l'enracinement de l'organisme dans la communauté.

De plus, au fil des années, le développement de nouveaux programmes a permis un nouveau financement. Des sommes ont pu être dégagées pour favoriser la présence du personnel au sein de différentes tables qui analysent les besoins des gens de Sherbrooke. C'est important d'être présent, de dire qu'on est là, de parler de notre mission et de répondre positivement aux besoins exprimés par la communauté. Ainsi, notre présence à ces tables nous permet de tisser des liens avec d'autres organismes de la région, notamment les services policiers, les services correctionnels et d'autres organismes communautaires. Nous nous faisons connaître de cette façon et cela nous aide à mener à bien notre mission.

ASRSQ : Au moment où vous avez quitté vos fonctions, le dossier du déménagement du CRC La Traverse battait son plein. Pouvez-vous nous parler de cette expérience?

G. Cloutier : Je suis content que vous en parliez, parce que je m'étais pris une petite note à ce sujet. D'abord, je considère que notre organisme est accepté dans la communauté. Dans le dossier du déménagement éventuel, lors d'une consultation publique, bien que de nombreuses personnes s'y soient opposées, plusieurs commençaient leurs interventions en disant : «Il est important qu'il y ait un organisme comme le vôtre dans notre ville.» Nous avons ressenti une forme d'acceptation de notre présence. La crainte des gens se manifestait plutôt sur la proximité. Nous avons dû composer avec le phénomène du «pas dans ma cour». Paradoxalement, le CRC est déjà à côté de chez eux, parce que le déménagement était à moins d'un kilomètre…

Cette expérience nous montre qu'il reste du travail à faire au niveau de la sensibilisation. À l'époque, avec le président du conseil d'administration, il nous a semblé important de sensibiliser les gens au moyen d'assemblées de cuisine. Des citoyens ont été invités à visiter nos locaux pour leur présenter le travail quotidien d'une maison de transition. En fait, nous avons le devoir d'expliquer nos missions à la population. Dans toutes les assemblées de cuisine, celles que j'ai vues et celles qui m'ont été rapportées, certaines personnes étaient assez sceptiques et puis, au terme de la soirée, j'entendais des personnes âgées dire : «Ça me sécurise de savoir que vous êtes là.» Puis, «Je ne savais pas que vous faisiez ça» ou «Je ne savais pas qu'il y avait autant d'encadrement». D'en parler en général, d'amener les gens à être en contact avec les résidents et de leur présenter notre intervention, c'est un tout autre monde. Donc, à mon sens, il faut multiplier ces rencontres. Je ne crois pas à de grands rassemblements. J'y croyais au départ, mais je pense qu'il faut plutôt essayer de sensibiliser par petits groupes, en espérant qu'ils deviennent des ambassadeurs de notre mission auprès de leur entourage. Si ça peut fonctionner comme ça, progressivement, nos communautés vont adhérer aux valeurs de réinsertion sociale.