Revue Porte Ouverte

Santé mentale et judiciarisation : le grand prix de l’exclusion

Par Jean-François Cusson,
ASRSQ

Une action multisectorielle en santé mentale : Pour que la prison devienne

Pour plusieurs, les gens qui ont des problèmes de santé mentale n’ont pas leur place en prison et ils questionnent la capacité du système judiciaire à répondre adéquatement à leurs besoins. Ces réflexions ont mené à la nécessité d’adapter ce système à une clientèle qui, bien souvent, cherche de la stabilité.

Un premier défi important est de départager les personnes qui affichent d’abord un problème de délinquance de celles dont le trouble principal est associé à la santé mentale. « Pour certains, la judiciarisation doit être proscrite, souligne Patrick Altimas (directeur général de l’ASRSQ), parce que c’est plus d’un traitement dans un endroit spécialisé qu’ils doivent bénéficier. Pour d’autres, le judiciaire est nécessaire et c’est la bonne chose à faire. »

Bibiane Dutil qui travaille à l’Hôpital Louis H. Lafontaine, ajoute qu’il faut nuancer l’intervention en fonction des troubles rencontrés. « Une chose est claire, l’expérience de l’incarcération peut s’avérer très néfaste pour certains d’entre eux. » C’est pour cette raison que, depuis plusieurs années, plusieurs efforts ont été déployés afin de limiter la judiciarisation de ceux qui profiteraient mieux d’une prise en charge par le réseau de la santé.

Trop malade pour la prison et trop délinquant l’hôpital

Plusieurs de ces personnes, selon Benoît Côté, Directeur du Programme d’encadrement clinique & d’hébergement (PECH), n’ont pas de problème de délinquance grave. Ils ont commis des délits mineurs et leur simple présence dérange. L’hôpital a longtemps été une solution privilégiée par les policiers, mais le personnel hospitalier craignait que la personne qu’on leur amenait fût un récidiviste notoire. Quelques instants plus tard, on la retrouvait de nouveau dans la rue et rien n’avait été réglé, le réseau de la santé considérant que ce n’était pas un de leur client. Pour Benoît Côté, le « ballottement de cette clientèle a toujours été un problème. Ils sont trop malades pour la prison, mais trop délinquants pour l’hôpital ».

«L’urgence est trop souvent le mode d’accès privilégié aux ressources : Il ne faut pas qu’ils meurent… mais entre temps, il faut bien qu’ils vivent…»

En développant un partenariat avec les policiers, des organismes comme PECH et UPS-Justice ont favorisé des parcours alternatifs à la judiciarisation. Malgré les formations que les policiers peuvent recevoir, ils ne sont pas des experts en santé mentale. Ils peuvent, au moment où ils interviennent, avoir besoin de soutien et c’est pour ça qu’à Montréal et à Québec (par exemple) il est possible de faire appel à des intervenants psychosociaux. Ces intervenants pourront les aider à évaluer la situation et à proposer des pistes de solutions. En plus de permettre de constater la présence ou non d’un problème de santé mentale, ces interventions ont pour effet de baisser la tension que vivent ces gens.

Ainsi, il est plus facile pour les policiers de prendre la bonne décision quant à la suite des événements. Doit-on judiciariser ? Doit-on référer à d’autres ressources ? Michael Arruda, qui pilote le dossier santé mentale au sein du Service de police de la ville de Montréal, apprécie grandement la collaboration qu’offre UPS-Justice à ce sujet. Toutefois, selon lui, il faudra clarifier toute la notion d’imputabilité qui découle de cette collaboration. « La loi, rappelle-t-il, donne le pouvoir aux policiers de décider de l’intervention appropriée, mais comme ils ne connaissent pas beaucoup de choses en santé mentale, ils s’en remettent souvent aux intervenants psychosociaux. S’il y a un problème suite à l’intervention, qui en sera imputable?»

Une présence aux moments névralgiques

Proposer une intervention ou du soutien à ces individus est parfois approprié, mais la personne peut refuser. « Il y en a beaucoup qui ne commettent pas de crime et qui sont dangereux, remarque Bibiane Dutil. On ne peut pas les forcer à se faire soigner. La loi ne tient pas compte que leur jugement est perturbé et elle les considère libre de prendre leurs décisions. » En effet, la seule obligation d’intervention que fournit le cadre législatif est lorsque l’individu représente un danger grave et immédiat. « Le problème, note Michael Arruda, c’est que la loi ne définit pas ce qu’elle entend par danger grave. »

Patrick Altimas est convaincu qu’il ne faut pas forcer l’individu à se faire traiter. « Il ne faudrait surtout pas donner à l’État ce genre de pouvoir. Quand on accepte de lui remettre une partie de notre liberté, ça peut devenir dangereux. » C’est souvent la gravité de l’infraction qui va influencer le parcours de l’individu. « Le problème de santé mentale ne peut pas le déresponsabiliser, précise Bibiane Dutil. S’il est inapte à subir son procès, il sera quand même judiciarisé, mais il sera condamné à aller à l’hôpital plutôt qu’en prison. »

Pour Michael Arruda, il serait important de mieux structurer l’intervention auprès de ces personnes. « On peut bien les envoyer en évaluation, mais qu’est-ce qui nous assure qu’ils iront à leur rendez-vous ? On sait que leur situation peut évoluer très rapidement et il faut assurer une présence aux moments névralgiques. »

C’est pour répondre à ce besoin que PECH, en plus de l’intervention de crise et de référence, a choisi de développer une approche multisectorielle. Pour Benoît Côté, « c’est bien beau de faire une intervention de crise à 23h10 un samedi soir, mais que va-t-il arriver à la personne après ». En ayant un service de crise, un service d’hébergement et des intervenants qui peuvent rencontrer occasionnellement les usagers, il devient possible d’amorcer un véritable suivi communautaire. « Ainsi, ajoute-t-il, on évite à la personne de se retrouver devant des listes d’attente à n’en pu finir et on peut déjà amorcer quelque chose. »

Mais pour le psychiatre européen Jean Furtos, récemment de passage à Montréal, il est dommage que l’urgence constitue trop souvent le mode d’accès privilégié aux ressources. « Il ne faut pas qu’ils meurent… mais entre temps, il faut bien qu’ils vivent… »