Revue Porte Ouverte

Santé mentale et judiciarisation : le grand prix de l’exclusion

Par Patrick Altimas,
Directeur général, ASRSQ

Y’a de l’action à Québec et à Ottawa!

Il se passe des choses ces temps-ci, assez pour garder les éditorialistes et chroniqueurs de tout acabit très occupés. La justice pénale est une priorité ! Et pourquoi pas, le taux de criminalité est en baisse générale, incluant les crimes avec violence, depuis 1991. Ç’a n’a pas de bon sens, il faut faire quelque chose, n’est-ce pas ? Encore une fois nous allons baser nos politiques en matière de justice pénale à partir de cas particuliers et exceptionnels. Qu’il est difficile de voir le portrait global et de se baser sur lui plutôt que sur des cas parfois horribles, j’en conviens, mais tout de même isolés. Pendant qu’à Ottawa, on propose des solutions qui ont fait la preuve de leur inefficacité à long terme, à Québec, on décide d’enfin mettre en application une loi sanctionnée en 2002 reposant sur des principes non seulement de protection de la société, mais surtout de réinsertion sociale des personnes contrevenantes de manière plus efficace et sécuritaire.

Y aurait-il deux façons de concevoir la justice pénale ? Une de type fédéral, fortement influencée par des pratiques états-uniennes, et une autre de type québécoise influencée par une approche plus « européenne » ? Je n’en suis pas si sûr. La réalité est beaucoup plus complexe que cela. On n’a qu’à écouter certains intervenants dans le débat pour s’en convaincre. L’incarcération et, quant à y être, l’incarcération la plus longue possible demeure dans l’esprit de plusieurs LA SOLUTION. Et pourquoi ne pas éliminer les formes de remise en liberté automatique comme la libération d’office ? Remettons sur la rue des personnes incarcérées jusqu’à la fin de leur peine (« ça leur apprendra ! ») sans leur offrir quelque ressource ou encadrement que ce soit. De toute façon…

Il est vrai que les Québécois sont peut-être moins enthousiastes à adopter cette attitude face au problème de la déviance et de la criminalité. Mais nous demeurons résolument des nord-américains et sommes influencés non seulement par ce qui se passe en Europe, mais d’abord par ce que nous voyons sur notre continent. C’est peut-être pour cela que, en même temps que le ministre de la sécurité publique du Québec annonçait la mise en application progressive de la Loi sur les services correctionnels du Québec, en réponse à une question d’un journaliste, il exprimait son avis que la construction d’une nouvelle prison serait fort probablement nécessaire.

«Cela prendra-t-il quelques mois ou années pour démolir les bases d’un système quoique imparfait, somme toute pas si inefficace qu’on voudrait nous laisser croire.»

Cela aura pris plusieurs décennies pour construire un système de justice pénale qui tient compte de la complexité de l’être humain et des communautés et qui est davantage basé sur des données empiriques et l’expérience clinique. Un système reconnaissant que l’incarcération ne constitue pas une panacée à des problèmes sociaux de plus en plus complexes et que la réaction sociale à la criminalité comprend d’autres mesures moins onéreuses et plus efficaces à long terme. Cela prendra-t-il quelques mois ou années pour démolir les bases d’un système quoique imparfait, somme toute pas si inefficace qu’on voudrait nous laisser croire. Si nos gouvernements adoptaient la voie de prolonger les temps d’incarcération et de libérer les gens sans ressource ni encadrement, faudra-t-il, nous du secteur communautaire, revenir à la notion « d’agences post-pénales » fonctionnant grâce aux oeuvres charitables de notre société qui s’occupent des laissés pour compte et démunis libérés de nos prisons sans ressource ni encadrement.

Messieurs Day et Dupuis, nous souhaitons ardemment qu’un débat le plus large possible puisse se tenir dans une atmosphère sereine et rationnelle avant de nous engager sur des voies économiquement onéreuses et dont l’efficacité n’a pas été démontrée. Nous vous assurons que nous serons là pour partager avec vous le fruit de plus de 40 ans d’expérience du milieu communautaire actif en justice pénale.