Revue Porte Ouverte

Santé mentale et judiciarisation : le grand prix de l’exclusion

Par Jean-François Cusson ,
ASRSQ

De délirant à sauveur de vie : Quand notre folie fait obstacle à la leur!

Moi, j’aimerais être cosmonaute…

Il s’agit là du rêve que décrit une personne toxicomane qui a connu la prison et qui vit un problème de santé mentale grave. Que peut bien lui répondre l’intervenant ? Est-ce un rêve irréaliste? S’agit-il d’un levier intéressant permettant d’initier une démarche de changement?

Benoît Côté (PECH) explique qu’il est très important de travailler sur les rêves, les intérêts et les forces des individus. « Cette approche fonctionne très bien, surtout avec ceux qui n’ont plus confiance en leur capacité et qui sont devenus la somme des diagnostics qu’on leur a donnés et des problèmes qu’ils ont rencontrés. Mais avant tout, il faut redonner l’espoir et miser sur le fait qu’ils peuvent être un apport pour la communauté. »

Redonner l’espoir n’est pas une mince affaire. Plusieurs réagissent fortement lorsqu’on leur confirme qu’ils peuvent réaliser leurs rêves. À force d’entendre qu’ils étaient inutiles et limités, ils viennent à y croire. « Dans notre société, précise Benoît Côté, un problème de santé mentale et de toxicomanie réunis font que plusieurs ne peuvent avoir accès aux services dont ils auraient besoin. C’est incroyable de voir combien certains dépensent du temps et de l’énergie pour trouver des raisons pour refuser l’admission de ces gens à des programmes. »

À propos de notre aspirant cosmonaute, l’intervenant pourra y voir une occasion de mieux comprendre ses ambitions. Examiner ce que ce rêve représente réellement, favorisera un meilleur accompagnement. « C’est sûr qu’on peut lui faire voir qu’avec un secondaire IV, la route risque d’être difficile… Mais l’intervenant pourra se rendre compte que dans le fond, ce qui l’attire ce sont les étoiles et les fusées. Sachant cela, on vient d’ouvrir la porte sur plein de solutions possibles pour permettre à l’individu de goûter une partie de son rêve. Une visite au Cosmodôme pourrait le stimuler. Jouer avec des simulateurs de vols sur ordinateur pourrait lui permettre de « triper » tout en permettant de le mobiliser sur la planification d’un budget pour acquérir un ordinateur. »

En plus d’une préoccupation axée, bien sûr, sur la sécurité publique, Pierre Gendron de l’Institut Philippe Pinel de Montréal, rappelle l’importance d’aider la personne à retrouver un sens à sa vie. Il importe de l’aider à reprendre espoir sans quoi toute intervention demeure impossible. Toutefois, il aimerait que l’on puisse mettre plus d’emphase sur la réadaptation. Actuellement, selon lui, on fixe surtout l’attention sur la question de l’hébergement. « Il y a plein de ressources qui dorment chez ces patients parce qu’on n’est pas capable de réveiller leur potentiel, de favoriser le fait qu’ils peuvent apporter quelque chose à la société. C’est au niveau de cette réadaptation qu’il faut investir, car c’est le point de jonction entre les désirs du système et ceux des clients. »

«Il y a plein de ressources qui dorment chez ces patients parce qu’on n’est pas capable de réveiller leur potentiel, de favoriser le fait qu’ils peuvent apporter quelque chose à la société.»
L’ici et maintenant

Selon toutes les personnes rencontrées, ce qui importe lors d’une démarche de réinsertion sociale, c’est de travailler sur des éléments de stabilisation. « Il faut être dans le concret, explique Bibiane Dutil de l’Hôpital Louis H. Lafontaine, ce qui compte c’est l’ici et maintenant. » Il faut bien souvent intervenir non pas sur les difficultés que l’on remarque, mais sur ce qui motive la personne.

En plus d’une stabilité et d’une meilleure autonomie, le directeur général de l’ASRSQ, Patrick Altimas, rappelle qu’il faut aussi viser la satisfaction de la personne aidée. « C’est bien beau d’intervenir et d’offrir un cadre adéquat, mais il faut que la person-ne soit confortable et qu’elle atteigne un certain bien-être. » En effet, on remarque que les attentes des personnes aidées face à l’intervention ne sont pas toujours examinées ou véritablement considérées dans les plans d’intervention. Benoît Côté se souvient d’une étude qui examinait des milliers de plans d’intervention. « Le constat de la recherche était qu’ils se ressemblaient tous. Les mêmes choses revenaient sans cesse, c’est-à-dire l’hygiène, le logement… Pourtant, quand on interroge les utilisateurs, ce qu’ils souhaitent est souvent très différent. »

Benoît Côté se rappelle un homme dont l’hygiène était plutôt médiocre et dont l’appartement était tout à l’envers. « Étant isolé, il n’avait aucun intérêt à soigner son apparence et faire le ménage de son do-micile. C’est correct tant et aussi longtemps que tu veux vivre en ermite. Cependant, au fil des discussions, il a exprimé qu’il aimerait avoir une blonde et on a commencé à parler des conditions pouvant faciliter une telle rencontre. Spontanément, il a soulevé lui-même des questions d’hygiène et de propreté. En travaillant ainsi, on peut régler un paquet de problèmes. »
Avec les personnes qui vivent un problème de santé mentale, encore plus qu’avec les autres délinquants, il s’avère essentiel d’accepter le rythme avec lequel ils pourront être à l’aise. Il faut aussi installer quelque chose de permanent dans le lien qui les unit aux intervenants. Ils doivent savoir qu’ils pourront compter sur leur aide au moment où ils en sentiront le besoin.

Au Centre correctionnel communautaire (CCC) Martineau, les intervenants vivent cette situation au quotidien. « Ces personnes ont besoin de se sentir en sécurité », explique Isabelle Charbonneau. « Ce n’est pas pour rien que lorsqu’elles quittent le CCC, plusieurs s’installent dans des logements à proximité du centre. Et quand elles ne vont pas bien, on les voit passer à plusieurs reprises devant le centre. Dans ce temps-là, on les invite à prendre un café. »

Étant donné les difficultés d’avoir accès à un suivi une fois leur sentence terminée, Réal Racicot (directeur du CCC) explique que l’encadrement peut se poursuivre. « On sait qu’en quittant le CCC, la personne va continuer à vivre des difficultés et on va continuer à intervenir pour faciliter le passage dans le réseau public et le lien avec les ressources communautaires. »

Entraide, tolérance et écoute
Des entrevues réalisées, la qualité de la relation entre l’intervenant et la personne aidée revient constamment. De Benoît Côté qui admire l’instinct de survie de ces personnes à Isabelle Charbonneau du CCC Martineau qui observe un lien plus étroit avec elles qu’avec la majorité des délinquants, travailler en santé mentale paraît être des plus stimulant. « Au CCC, explique cette dernière, j’ai l’impression que nous sommes une famille. Les résidents s’entraident, ils affichent une bonne tolérance entre eux et ils écoutent ce que l’intervenant a à dire. »

Chantal Despatie (Services correctionnels du Québec) qui a joint l’équipe d’UPS-Justice pendant sept ans suite à un prêt de service a eu une belle surprise lors de ses premiers contacts avec la « clientèle ». « Avec les délinquants, j’avais toujours tendance à tenter de distinguer le vrai du faux. Je me suis rendue compte qu’avec ceux qui ont des problèmes de santé mentale, ils peuvent se confier plus facilement s’ils sentent que tu t’intéresses à eux. » Également, il apparaît que leurs comportements et leurs attitudes sont révélateurs des difficultés qu’ils rencontrent. « Quand ils connaissent des problèmes, observe Réal Racicot, on s’en rend compte assez facilement. »

Le regard sur le monde, les espoirs et les comportements de ces personnes sont toujours pleins de sens malgré que bien souvent ils nous apparaissent déplacés, incompréhensibles, voire même délirants. Il faut, cependant, ne pas les réduire uniquement en des symptômes d’une maladie puisque nous condamnerions ainsi leur réalité. Ce sont des moments qui permettent de réaliser qu’elles ont des besoins qui ressemblent aux nôtres et qu’elles font parfois face à de grandes difficultés pour les combler. En les aidant à se réapproprier un pouvoir sur leur vie, on mise aussi sur le fait qu’elles peuvent être un atout pour la communauté.