Revue Porte Ouverte

Santé mentale et judiciarisation : le grand prix de l’exclusion

Le casier judiciaire et son impact les assurances personnelles

L’impact du casier judiciaire n’est plus à démontrer. En effet, plusieurs études ont analysé les conséquences du casier judiciaire sur l’emploi,sur les déplacements transfrontaliers ainsi que sur la protection de la vie privée. De plus, il semble que les locateurs de logement s’informen de plus en plus fréquemment à propos du casier judiciaire éventuel de leur futur locataire. Étant donné le nombre élevé de personnes possédant un casier judiciaire au Canada, il s’agit là d’une situation fort préoccupante qui touche une grande proportion de la population. En 2004, parmi les personnes de 15 ans et plus, plus de 20% des hommes (2 902 533)et plus de 5% des femmes (798 486) possèdent un casier judiciaire.

Le casier judiciaire punit aussi la famille immédiate

Aujourd’hui, nous désirons porter votre attention sur le problème de l’assurance personnelle parce que de plus en plus de personnes ayant un casier judiciaire éprouvent des difficultés avec les compagnies d’assurance. En effet, plusieurs personnes se voient refuser à titre de clients par des compagnies d’assurance dites standard ou elles voient leur réclamation rejetée parce qu’elles n’ont pas spécifié, au moment de la demande d’assurance, qu’elles ont un casier judiciaire, et plus grave, ou que leur conjoint ou leur enfant qui vit sous leur toit en a un.

Selon la Loi sur le casier judiciaire(1) la réhabilitation (le pardon) devrait en principe effacer les conséquences de la condamnation. Dans les faits, on remarque que la réhabilitation a surtout une valeur symbolique et, qu’au mieux, elle peut mitiger les effets de la condamnation (Cour d’appel du Québec).

Le casier judiciaire, tel que nous le connaissons au Canada, est un obstacle important en matière d’assurance et la notion de réhabilitation demeure tout à fait théorique. Au cours des dernières années, certains tribunaux ont durci leurs jugements envers ceux qui possèdent un casier judiciaire. Ainsi, la Cour du Québec a statué que le droit à l’assurance, ça n’existe pas en soi.

Des compagnies d’assurance de plus en réticentes

Les données recueillies, jusqu’à présent, font ressortir que les compagnies d’assurance sont de plus en plus réticentes à assurer les détenteurs d’un casier judiciaire et ce, même si la couverture d’assurance demandée n’a rien avoir avec la nature du casier judiciaire. En fait, elles tendent à considérer que le simple fait de posséder un casier judiciaire a pour effet d’augmenter le niveau de risque non seulement de l’assuré, mais de sa famille immédiate. Nous considérons que cette façon de faire, tout en étant discriminatoire, fait fi de la notion de réhabilitation.

La démarche de recherche que nous amorçons vise à documenter la situation, à faire ressortir les histoires de ceux et celles qui se retrouvent aux prises avec ce type de difficulté et d’en évaluer les impacts sociaux et économiques.

La pointe de l’iceberg ?

Les cas qui nous été jusqu’ici soumis soulèvent les questions suivantes. Pourquoi ne pas inscrire directement dans la documentation et sur les contrats l’obligation qu’a la personne qui demande une assurance de spécifier si elle a un casier judiciaire ? Pourquoi la présomption d’innocence n’est-elle pas applicable dans le cas d’une personne qui détient déjà une assurance ? Pourquoi, dans la perspective où le contrat d’assurance est un contrat de bonne foi, l’assureur n’a pas l’obligation de faire clairement connaître ses critères de refus d’assurer et inclure dans les exclusions le fait d’avoir un casier judiciaire ?

D’ailleurs, devant l’attitude des compagnies en matière d’assurance automobile, la Cour d’Appel du Québec a mentionné, dans une décision récente, que « si les assureurs ne souhaitent pas assurer les personnes ayant un casier judiciaire non relié à la conduite d’un véhicule ou à sa possession, qu’ils posent directement les questions appropriées(2) ». Ce qu’elles se refusent de faire depuis des décennies. L’attitude des compagnies d’assurance, nous conduit à nous poser la question suivante : s’il est justifié de refuser d’assurer les personnes ayant des antécédents judiciaires, de même que leur conjoint et éventuellement leurs enfants, qui demandent directement une assurance, est-il déraisonnable de se demander si la situation devrait être la même pour des locataires qui ont un casier judiciaire ? Le locateur est-il, sera-t-il, en mesure d’obtenir une assurance ? En effet, les employeurs qui envisagent embaucher une personne ayant un casier judiciaire peuvent voir leur prime augmenter considérablement ou leur couverture diminuer comme une peau de chagrin. Alors pourquoi pas les locateurs ?

Autoriser la discrimination des personnes ayant des antécédents judiciaires, peut-elle contribuer à maintenir une société juste, paisible et sûre ? Nous en doutons.

Une recherche pour mieux comprendre la situation

C’est pourquoi nous avons entrepris une recherche sur la situation des personnes ayant un casier judiciaire ainsi que les membres de leurs familles. Pour ce faire, nous avons préparé un questionnaire que nous allons distribuer le plus largement possible. Le questionnaire sera bientôt disponible à l’adresse suivante : www.asrsq.ca.

Non seulement nous allons analyser les réponses que nous recevrons, mais nous allons également vérifier quel pourrait être l’impact économique de l’exclusion de l’industrie de l’assurance des 500 000 québécois détenteurs d’un casier judiciaire ainsi que les centaines de milliers de membres de leurs familles. Nous examinerons également dans la mesure du possible l’impact relatif aux coûts sociaux qui seront éventuellement assumés par les gouvernements du Québec et du Canada. En effet, les conséquences de l’impossibilité d’être indemnisés ou de s’assurer peuvent avoir des effets économiques considérables et des répercutions sur la santé.


1 L.R.C. (1985), ch. C-47
2 Cour d’appel du Québec, 8 février 2005, 2005 QCCA 197