Revue Porte Ouverte

Santé mentale et judiciarisation : le grand prix de l’exclusion

Par Propos recueillis par Magali Valence,
ASRSQ

Un musicien parmi tant d’autres

Guillaume(1) est un jeune homme dans la vingtaine qui est passionné des arts. Il adore la musique par-dessus tout, mais apprécie également l’écriture et le dessin. Cependant, la guitare est son instrument de prédilection, il a même fait partie de groupes de musique avec lesquels il a livré des performances dans les bars.

Malheureusement à un certain moment, la vie de Guillaume a pris un tournant non-désiré, il a été diagnostiqué schizophrène. Quelques temps après avoir encaissé la nouvelle, sous l’effet d’un cocktail explosif de drogues et de médicaments, il s’en prend physiquement à quelqu’un et il est condamné pour voies de faits.

Au moment de la rencontre, Guillaume venait tout juste de quitter le pénitencier pour poursuivre sa sentence dans une maison de transition sur l’île de Montréal. Il a bien voulu nous livrer son vécu, ses expériences, ses peurs et ses rêves, afin que nous puissions mieux saisir son passé, son cheminement et ce que lui réserve l’avenir. 

Immédiatement après ta condamnation, tu as été envoyé à l’Unité régionale de santé mentale(2) afin de purger ta peine. Comment as-tu vécu ton arrivée au pénitencier ?

Au début, c’était très difficile. J’avais de grosses appréhensions face aux pénitenciers fédéraux à cause de toutes les histoires que j’avais entendues, comme les abus sexuels. Je suis déjà quelqu’un qui « paranoïe » d’avance…

Au pénitencier, c’est très axé sur la sécurité, c’est une approche qui est bien correcte. Tu as une équipe autour de toi, avec une infirmière et un psychologue. Cette équipe est là pour, j’emploierais le mot « surveiller », mais elle est là aussi pour travailler avec toi. Si tu marches avec elle, tu peux arriver à de bons résultats. Tout le temps que j’ai été là, je me suis impliqué dans des cours d’arts plastiques et dans des programmes sur la violence et sur les relations humaines. Il y a des choses que j’ai faites dont je suis super fier.

«J’ai hâte d’avoir une vie stabilisée avec un emploi, un appartement et une vie normale sans consommation.»

As-tu des exemples?

J’ai participé à une dictée des APEI et j’ai obtenu la première place du pénitencier. J’ai aussi remporté le prix du jury dans un concours de dessin et j’ai terminé mon secondaire III en mathématique. J’ai aussi eu une guitare là-bas et j’ai écrit beaucoup de chansons, je me suis amélioré côté musique et ça m’a ouvert l’esprit. Ce sont toutes des choses qui ont monté mon estime.

Quand je suis entré en prison, j’étais vraiment ravagé par la drogue. Puis, je suis ressorti de là différent, même si j’en ai repris en arrivant en maison de transition. Je suis sorti du pénitencier en étant trop au-dessus de mes affaires, je me disais que jamais je ne retournerais dans la drogue, mais j’étais super fragile. Aujourd’hui, je vois que la drogue, c’est omniprésent, la consommation c’est autour et tout ce que ça apporte, ce sont des effets négatifs. Dans mon cas, si je consomme, c’est ma santé mentale qui en prend un coup, je suis fragile de ce côté-là aussi. Je dois faire attention, car je peux être dangereux pour les autres et pour moi-même.

Tu as parlé de fragilité à quelques reprises, qu’est-ce que ça fait que de se savoir fragile?

Ce n’est pas facile et il y a d’autres personnes qui ne le sont pas (qui n’ont pas de problématique de santé mentale) et je me compare souvent à eux. Ça me rend triste… Mais je passe une journée à la fois et le soir quand je me sens bien et que j’ai eu une bonne journée, je suis fier de moi. Je vis une journée à la fois et c’est bien correct.

Lorsque tu es arrivé en maison de transition, avais-tu hâte, étais-tu anxieux?

J’étais excité et j’avais hâte, mais j’avais une idée préconçue qui était fausse. Dans ma tête, c’était comme un paradis… j’ai eu un choc parce que ce n’était vraiment pas comme je pensais.

À quoi t’attendais-tu ?

Je m’attendais à avoir tout ce que je voulais et je me disais que tout allait arriver… que j’allais me faire une blonde. Mais ce n’était pas ça. Juste le fait de prendre l’autobus et j’ai capoté ! J’ai même eu des hallucinations auditives et ça faisait un bout que ça ne m’était pas arrivé.

Je me disais que j’allais travailler tout de suite en arrivant en maison de transition. J’avais pleins de projets, j’avais trop de choses dans ma tête. Je me disais qu’en sortant, toutes les pensées négatives que j’avais dans ma tête allaient partir. Ça n’a pas été le cas!

Qu’est-ce qu’on fait quand on se rend compte que ce n’était pas comme on pensait ?

Je l’ai gardé pas mal pour moi. J’en ai parlé, mais je n’ai pas vraiment cherché à le travailler.

Quels sont tes intérêts, tes passions ?

Ce sont les arts, la musique, l’écriture, le dessin. Mais le numéro un, c’est vraiment la musique.

Est-ce que tu joues beaucoup de musique ?

Oui, mais en ce moment moins, parce que je n’ai pas d’instrument. C’est sûr qu’un jour, je vais m’équiper comme il le faut et je vais sortir quelque chose. Je suis toujours en train d’écouter de la musique, d’avoir des flashs pour de la musique. J’ai vraiment ça dans la peau depuis longtemps.

J’ai fait partie de quelques petits groupes et j’ai fait des « shows » dans les bars. Ce sont des expériences qui m’ont vraiment marqué à vie. C’est un sentiment de contrôle total et de liberté, c’est meilleur que n’importe quelle drogue, que n’importe quoi. Je veux aussi publier un livre. Pas un livre sur mon vécu, mais plutôt un ramassis de poèmes, d’essais et de toutes sortes de choses.

Avec tout ce que tu as vécu et ce que tu vis actuellement, comment vas-tu ?

Je suis en confiance avec moi-même, je suis content de ce que je fais et de mon mode de vie. Et je me dis que ma liberté, je la mérite ! Quand je me dis ça, c’est vraiment le fun !
Quand je suis arrivé en maison de transition, j’étais fier de tout ce que j’avais fait au pénitencier, mais quand j’y suis retourné (après avoir brisé une condition de remise en liberté), mon estime de moi en a pris un coup. Alors quand je suis revenu en maison de transition, je me suis dit que j’allais faire des efforts.

En maison de transition, il y a des nouveaux stress que je n’avais pas en prison. Je me perds souvent, je ne suis plus habitué de marcher dans les rues et j’ai un peu honte de ça.

Pourquoi as-tu honte de ça ?

Parce que je ne suis plus comme avant, parce que j’ai fait de la prison. Moi avant ça, j’étais plus allumé que ça, je me sens au ralenti, un peu perdu… comme un zombie. Pour moi, c’est difficile à accepter, c’est comme une lutte en dedans de moi. Quand je reviens au centre
et que je dis que je me suis perdu, je capote ! Ça me travaille dans la tête.

Comment vois-tu ce qui s’en vient ?

Assez difficile pour être réaliste. J’ai hâte d’avoir une vie stabilisée avec un emploi, un appartement et une vie normale sans consommation. Je n’ai jamais vécu ça avant. C’est pour ça que je dis que ça sera difficile, car sans consommation, ce sera des émotions, des responsabilités… toutes des choses que je n’ai jamais vécues de ma vie. Je vais réapprendre à vivre et je sais que ça va être « tough » !

Si je consomme à nouveau, il y a quelque chose de grave qui va arriver, je me connais. Parce que quand je consomme, c’est l’excès, la folie. C’est pour ça qu’il ne faut pas que je recommence.

J’ai 27 ans et depuis que j’ai 19 ans, c’est la prison, l’hôpital et la rue. Je me regarde dans le miroir et je vois que j’ai vieilli. Quand je regarde mes amis, ils n’ont pas fait de prison, ils ont un certain contrôle. Ils n’ont pas de maladie mentale, moi j’en ai une. Je ne peux pas consommer, je ne peux pas me permettre ça, parce que je vais trop loin. Je me détruis et je détruis tout autour de moi. Je fais de la peine à mes parents aussi.

Qu’est-ce qui pourrait t’aider à ce que ça soit moins dur ?

Je vais avoir besoin du soutien des personnes solides autour de moi, car tout seul, je ne pourrai pas y arriver. J’ai quelqu’un à Québec qui me soutient super fort, c’est aussi fort que ma famille et cette personne-là va me soutenir toute ma vie. J’ai aussi ma famille, mais à part de ça, je n’ai pas grand monde.

Pendant que je suis ici, j’aimerais me trouver un emploi et connaître du nouveau monde. Je veux me trouver un appartement, des hobbys, me bâtir une vie !

Si tu avais un souhait à faire, quel serait-il ?

Il y en a trop… J’aimerais retourner en arrière et tout recommencer. Je retournerais à 16 ans, aux premières fois où j’ai consommé de la drogue et je m’en irais, je retournerais à la maison à la place.

Est-ce que tu sens que tu as du contrôle sur ce qui s’en vient ?

Oui, j’ai le contrôle sur moi, c’est moi qui contrôlerai ce que je vais faire. C’est moi qui vais bâtir mon avenir, ce n’est pas les autres. C’est moi qui sais où je m’en vais, ça c’est sûr !


(1) Nom fictif utilisé pour préserver l’anonymat de la personne qui a accepté généreusement de nous accorder cette entrevue.
(2) L’Unité régionale de santé mentale est un pavillon de l’établissement Archambault qui s’occupe uniquement des détenus ayant un diagnostic de santé mentale.