Revue Porte Ouverte

Santé mentale et judiciarisation : le grand prix de l’exclusion

Par Arlène Gaudreault,
Chercheure associée au Centre international de criminologie comparée (CICC) et présidente de l’Association québécoise plaidoyer-victimes et Joanie Prince, étudiante à la maîtrise en criminologie, Université de Montréal

Travailler en maison de transition ou… L’art d’éviter et de prévenir les risques de victimisation

Introduction

Policiers, gardiens de prison, professionnels de la santé, criminologues oeuvrant dans les pénitenciers ou les centres jeunesse : diverses études ont scruté la violence qu’ils subissent en milieu de travail. Curieusement, jusqu’à présent, les intervenants des maisons de transition n’ont suscité aucun intérêt. Pourtant, ces travailleurs sont quotidiennement en contact avec des personnes, ex-détenus et probationnaires, qui présentent de lourdes problématiques, voire un potentiel de violence élevé et, quoi qu’on en dise, n’ont pas toujours choisi librement « la transition ». Ces milieux recrutent de plus en plus de jeunes intervenants, des femmes surtout. Quand on parle de victimisation au travail, à quoi sont exposés ces professionnels ? Quels sont les contrecoups des violences qu’ils subissent ? Peuvent-ils se tourner vers leurs collègues ou supérieurs pour obtenir de l’aide ? Quel regard portent-ils sur la victimisation dans leur contexte de travail et ce qui en favorise l’émergence ou, au contraire, peut les en prémunir ?

La démarche de recherche

Pour répondre à ces questions, dans un premier temps, nous avons distribué cent cinquante (150) questionnaires dans toutes les maisons de transition affiliées à l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ). Quatre-vingt quatorze (94) répondants l’ont rempli, ce qui correspond à un taux de réponse de 67,2 %. Quel est leur portrait ? En majorité, ce sont des femmes (59,6 %), des intervenants « sur le plancher » (41,5 %), des personnes âgées de moins de 35 ans (57,4 %), des professionnels ayant 5 ans ou moins d’expérience (60,6 %). Les résultats révèlent que 70,2 % des répondants ont subi une victimisation, à un moment ou à un autre de leur carrière en maison de transition. Dans 55,3 % des cas, il s’agit principalement de menaces et d’intimidation davantage dirigées contre les hommes (65,8 %) que les femmes (42,9 %). Les agressions physiques (21,3 %) et les incidents contre les biens (16 %) sont moins fréquents. Les femmes sont deux fois plus susceptibles (42,9 %) que les hommes (21,1 %) d’être victimes d’agressions à caractère sexuel. Pour les deux tiers de nos répondants (66,0 %), les victimisations rapportées ont eu diverses conséquences. Cependant, la moitié d’entre eux (57,6 %), ont surtout évoqué l’impact psychologique, notamment les troubles de sommeil, les perturbations dans la vie professionnelle et les changements dans les habitudes de travail. La plupart des répondants ont sollicité l’aide de leurs collègues (71,2 %) et de leurs supérieurs (60,6 %). Un soutien apprécié car la plupart (environ les trois quart des répondants) se sont montrés satisfaits ou très satisfaits. La moitié d’entre eux se sont aussi tournés vers leur famille. Voilà ce qui ressort de la passation des questionnaires.

Pour enrichir notre démarche, nous avons également mené quatre focus group. Deux d’entre eux ont réuni neuf (9) intervenants d’expérience oeuvrant dans des maisons de transition à Montréal et à Québec. Les deux autres ont regroupé huit (8) étudiants en criminologie qui effectuaient alors leur stage dans ces milieux. Une approche intéressante car elle nous permettait de recueillir à la fois les points de vue de professionnels capables d’avoir du recul et de jeunes à l’aube de leur carrière. Dans chacun des focus group, la question de départ était « Quand on parle de victimisation en maison de transition, qu’est-ce que cela évoque pour vous ? »Une façon de lancer la discussion tout en leur laissant beaucoup de souplesse et de liberté.

Le regard de nos répondants sur la violence en maison de transition

Disons-le d’emblée, la victimisation… ce n’est pas un terme que l’on aime. Selon nos répondants, elle concerne d’abord les personnes que les délinquants ont heurtées. Ou celle qu’ont subie les résidents dans leur trajectoire de vie. Mais pas ceux qui sont censés les aider. Du moins, spontanément, ce n’est pas à cela que l’on pense. On préférerait parler de sécurité, un concept plus neutre et moins stigmatisant. Ils ont reconnu qu’auparavant le personnel des maisons de transition était moins sensibilisé à la violence au travail. Si on doit aujourd’hui mieux la prendre en compte, il ne faut pas pour autant dramatiser car cette réalité fait partie du métier. Après tout, on ne fait pas des frisettes dans un salon de coiffure, on ne travaille pas avec des personnes âgées.

Les agressions physiques sont peu présentes, disent-ils. C’est ce que révèle également le questionnaire. Dans leurs propos, il sera surtout question de l’intimidation qui s’inscrit dans toutes sortes de registres : menaces voilées, silences hostiles, attitudes de défiance, commentaires désobligeants. Cependant, certaines menaces seront plus claires ou dirigées. Recevoir un téléphone anonyme ou des menaces de mort, se faire suivre le soir après le travail : ces violences finissent par atteindre la personne. Elles peuvent expliquer que certains intervenants quittent leur emploi même s’ils s’y étaient investis depuis plusieurs années. Parfois, on assistera à des débordements lors de retraits de privilèges ou d’un retour en détention, deux situations plus à risque de représailles et où il faut se montrer à l’affût du moindre geste.

La violence sous toutes ses formes, on finit par s’y habituer ou la banaliser. Ça fait partie du quotidien et parfois même, on ne la voit pas. On en arrive à ne plus entendre les menaces, à ne plus les prendre au sérieux car elles sont rarement mises à exécution. Face à ceux qui sont colériques ou se mettent à crier, on cherche des excuses ou on se convainc que c’est correct. Car ce n’est ni intentionnel ni personnel. Après tout, les résidents ont le droit d’être en c… Quand ils se frustrent ou se fâchent, c’est envers le système, les règlements, la maison de transition. Il faut comprendre qu’ils ont parfois la mèche courte, faire la part des choses, démêler ce qui est de l’agression et ce qui ne l’est pas. Sinon, on ne tient pas le coup.

Il n’y a pas de place dans ce métier pour ceux qui s’apitoient sur leur sort, sont douillets ou naïfs. Au contraire, il faut être allumé et alerte. La personnalité, c’est notre outil. On l’a ou on l’a pas ! Être équilibré et conscient de ce que l’on est et de ce que l’on vit, exprimer ses malaises et gérer son stress, s’intéresser sans se laisser envahir, s’investir ailleurs que dans le travail : la liste est longue ! Plus encore, il faut avoir la vocation et la passion, des qualités que l’on retrouvait manifestement chez les intervenants que nous avons rencontrés.
Qu’est-ce qui peut rendre plus vulnérable à la violence ?

Une clientèle difficile… l’inexpérience… l’usure d’intervention… le statut

Travailler auprès de délinquants représente en soi un facteur de risque lorsqu’il est question de violence au travail. Les intervenants des maisons de transition sont-ils plus exposés que d’autres ? Selon eux, non. Nos répondants n’ont pas manqué d’exemples pour en témoigner. Ils reconnaissent néanmoins que la clientèle n’est pas facile et qu’elle s’est alourdie ces dernières années. Cas psychiatriques, toxicomanes, troubles de personnalité limite, jeunes issus des gangs : difficile de faire face à tout cela. On est moins préparés et ça prend toutes sortes d’habiletés tout d’un coup.

Le manque d’expérience associé à l’âge et à la formation des intervenants en début de carrière a été souvent mentionné. La jeune génération aurait plus de difficulté à assumer son rôle d’autorité. L’écart d’âge, la tenue vestimentaire, le mode de vie les rapprochent de ceux là même qu’ils sont censés aider et surveiller. Ils sont trop en proximité et le rapport de l’aidant bascule dans celui de l’ami, du confident avec qui on peut partager son intimité. Dès lors, ils ne sont pas capables d’établir la distance nécessaire et de mettre leurs limites. Les stagiaires croient aussi que leur âge et leur inexpérience les rendent plus fragiles ; ils se sentent moins pris au sérieux quand ils veulent s’imposer auprès des résidents.

Les intervenants aguerris ne sont pas à l’abri non plus. Le sentiment d’impuissance ou d’échec, la fatigue émotionnelle, le surinvestissement, peuvent contribuer à l’usure d’intervention. Quand on en arrive à prendre les choses de façon personnelle, à manquer de recul, à ne plus être capables de passer par-dessus le délit, ce sont des signes avant-coureurs. C’est un peu comme si, malgré l’expérience, certains d’entre eux n’étaient plus capables de jauger l’effet de leurs interventions. Ils mettent de l’huile sur le feu par des comportements inappropriés ou des remarques malhabiles et deviennent alors à risque. Comme disent les stagiaires, on dirait qu’ils ont la claque de leur travail.

Le poste que l’on occupe fait aussi une différence. Ceux qui assument les quarts de soir et de nuit, les remplacements de fins de semaine travaillent seuls la plupart du temps et ont moins de renfort de leurs collègues. Étudiants, employés à temps partiel occasionnel, agents de sécurité privée, ces apprentis sont plus isolés et moins formés. Les résidents seraient plus respectueux envers les conseillers car ils représentent une hiérarchie dans la maison. Par ailleurs,les intervenants sur le plancher seraient plus à risque de vivre de l’intimidation, des affaires plates.

Avoir déjà été victime

Le fait d’avoir été victime peut également fragiliser et miner la confiance en soi. Aux dires de nos répondants, certains de leurs collègues avaient subi de graves agressions et ne s’en étaient pas remis malgré l’aide de professionnels. Ces événements font naître une souffrance, créent une fissure ou une cassure impossibles à réparer. On remarque alors des changements. Ils interviennent moins souvent, sont plus mal à l’aise dans un contexte d’autorité, ne veulent plus travailler seuls ou exigent d’être accompagnés lors de démarches. Des comportements d’évitement qui traduisent de profonds malaises. Très souvent, ils doivent quitter leur emploi parce qu’ils ne sont plus en mesure de composer avec la clientèle. Peut-être, se dit-on, n’étaient-ils pas faits pour ce travail… Un réflexe fréquent dans un milieu où il faut avoir le caractère et la personnalité !

Adopter des comportements à risque

Certains comportements sont particulièrement à risque. Surtout, il ne faut pas provoquer, faire exprès, bûcher sur un résident lorsqu’il faudrait adopter de tout autres méthodes. Ne pas saisir ce qui se passe dans la relation, ne pas sentir que soi-même on bouille en-dedans, réagir du tac au tac : tout cela est un manque d’instinct.

La mauvaise utilisation de son rapport d’autorité peut provoquer beaucoup de résistance. Être trop contrôlant ou rigide, manquer de nuance dans l’application des règlements, vouloir montrer à tout prix qu’on est le boss : ces comportements peuvent déclencher la riposte et l’agression. Quand l’intervenant sent qu’un résident par le regard ou ses attitudes veut l’intimider, installer la peur et qu’il ne sait pas comment gérer cela, il se place dans une situation où l’autre maintient son pouvoir. Et au bout du compte, le gars va chercher à prendre le dessus et te manipuler.

Baisser la garde

Avec le temps, on peut devenir aussi plus téméraire et oublier la prudence. Quand on évite de prendre certaines précautions lors d’une visite dans la communauté ou quand on n’a pas prévu un scénario au cas où les choses tournent mal, on s’autorise à prendre des risques indus et l’on perd alors son bouclier de protection. Les relations avec les résidents peuvent aussi devenir des entraves ou des obstacles. Les maisons de transition sont des milieux où il y a une pression à ce que l’on établisse des liens forts avec les résidents et le contexte s’y prête surtout lorsqu’on les suit longtemps. On développe des liens d’attachement et on oublie que les personnes peuvent être violentes. Les traiter en égal, se laisser prendre dans la relation et ne plus se mettre de barrière à cause du lien de confiance qu’on établit : tout cela peut expliquer que l’on baisse la garde. Les étudiants admettent aussi qu’ils sont vigilants lorsqu’ils arrivent en stage mais, quand la routine s’installe, ils en viennent à se modeler sur les plus vieux, à agir par imitation et à « fitter » dans le moule.

La vie d’équipe et les contraintes du milieu

Quand l’équipe ne va pas bien, que le climat de la ressource est négatif, cela déteint sur la qualité des interventions, sur le réflexe de partager des informations, sur la confiance que l’on se témoigne. On voit alors apparaître des stratégies maladroites et plus de passages à l’acte. Accueillir plusieurs résidents en même temps, faire des 12-13 heures en ligne à cause du roulement de personnel ou des départs sont source d’épuisement. Conséquences ? Les résidents sont plus sur toi, on a moins le temps de les connaître, de s’adapter à chaque personne et de décompresser. Et, quand on se sent débordé ou plus fatigué, on est beaucoup plus vulnérable. Quelques répondants ont aussi souligné que les maisons de transition sont moins sécuritaires lorsqu’elles font face à des contraintes liées au nombre de résidents. Lorsque les niveaux d’occupation sont bas, que les services correctionnels réfèrent moins, on peut se montrer plus tolérant et moins rapide pour les mettre dehors. Tandis que si la maison est pleine et qu’il y a une liste d’attente, on a la gâchette facile. Les gars sont beaucoup plus tranquilles et les intervenants se font alors moins agresser. Mettre ses limites, cela vaut aussi pour l’organisme. Donner le message que la violence est inacceptable, ni des résidents ni du personnel, contribue à instaurer un climat de respect dans la couleur des murs.

Une sécurité défaillante

Recourir au bouton-panique, aménager les lieux physiques, adopter des protocoles d’urgence : ces mesures peuvent-elles être utiles ? Certes, elles offrent un filet de protection mais elles semblent loin d’être présentes dans toutes les ressources. Dans certaines maisons, la sécurité fait partie de la culture et on y pense au quotidien. Elle est très appliquée et elle amène à développer une conscience des dangers. Si certains milieux sont hypervigilants, à l’opposé, d’autres seraient mal équipés. Le mauvais usage du bouton-panique, le fait qu’on laisse une jeune femme travailler seule la nuit avec un groupe de 25 gars, des « cubicules » sans fenêtre pour mener les entrevues, des rencontres au domicile du résident alors qu’on ne sait pas à qui on a affaire, l’accessibilité à des piques à glace ou à des couteaux : ces contextes, les stagiaires les ont décrits. Mal à l’aise ou choqués, ces derniers jugent sévèrement ces pratiques où l’on semble se préoccuper plus du lien de confiance à établir avec les résidents que de la protection des employés.

Néanmoins, quelques répondants ont fait valoir qu’on ne doit pas se retrancher derrière les mesures visant à assurer la sécurité physique sinon on s’en vient une prison. On risque aussi de dénaturer ou d’appauvrir l’intervention. La capacité de gérer les imprévus, de faire preuve de jugement particulièrement dans les situations de crise, c’est en cela que résiderait davantage leur marge de manoeuvre.

Mais comment peut-on se protéger ?

Les résidents… les connaître et avoir de bons liens

Bien connaître les résidents semble être un facteur important pour prévenir la victimisation. Les antécédents, le profil criminel, le mode de passage à l’acte : ces informations sont nécessaires pour se faire une idée de la clientèle, porter attention à certains détails et s’ajuster. Certaines maisons favorisent l’accès à beaucoup d’information sur les délinquants mais dans d’autres, c’est sommaire et peu élaboré. C’est le cas par exemple lorsque le profil du résident tient à un paragraphe ou que sa feuille de route ne mentionne pas son parcours dans le circuit pénitentiaire fédéral. Difficile aussi de dire jusqu’à quel point l’échange d’information se fait systématiquement. Les stagiaires ont référé à des situations où l’information était cachée délibérément, parfois filtrée pour éviter des fuites. Alors que les conseillers cliniques connaissent bien les dossiers des résidents, il peut en être autrement des animateurs qui sont laissés à l’écart même s’ils occupent un rôle névralgique, disent-ils.

Partager le quotidien des résidents est cependant le meilleur moyen de comprendre leur dynamique, de les voir évoluer ou régresser, de prévoir comment ils vont réagir ou se désorganiser. Un séjour plus long en maison de transition permettrait de mieux les « sizer » et de réagir en conséquence. C’est aussi à partir du quotidien que se bâtit la relation. Traiter les résidents comme des personnes capables de faire des choix, ne pas imposer sa vision des choses, être supportant et travailler tout en douceur, ce sont des stratégies pour éviter les situations d’affrontement. Car, agir froidement ou sèchement, ça ne passe pas avec les gars. Pour établir un bon lien, il vaut mieux être « smooth », recourir à l’humour et rester simple dans ses rapports. Il importe également de clarifier son rôle et ses attentes au départ, d’avoir des consignes claires et les partager avec le résident afin qu’il soit capable de te suivre dans ta logique. Lorsqu’il faudra appliquer des mesures punitives ou privatives de liberté, on pourra alors plus facilement récupérer la situation. Au contraire, des décisions arbitraires ou mal comprises alimentent le sentiment d’injustice et augmentent les risques de dérapages.

Avoir « du pifet de l’instinct »

Faire preuve de jugement est une autre exigence dans ce métier. Une compétence qui permet d’établir une distinction entre fermeté et intransigeance, entre confronter ou affronter. Ne pas s’interposer dans les disputes entre les résidents, reporter les conséquences à l’acte lorsque l’un d’entre eux revient le soir au CRC en état d’intoxication et comprendre qu’il n’est pas dans son état normal, mettre en place des mesures de sécurité lors d’une enquête communautaire ou d’une suspension qui peut s’avérer houleuse : ce sont des situations où l’on doit exercer son jugement. Le ton et l’attitude à adopter, l’usage du tu ou du vous, le recours ou non à l’humour : tout est non seulement dans la manière de faire les choses mais aussi de se positionner et de désamorcer les crises. Un savoir-être qui n’est pas écrit dans les livres. Il faut également faire confiance à son senti, s’écouter surtout quand on est mal à l’aise, qu’on sent la peur monter. Un réflexe de survie qui s’émousse avec le temps car on devient moins attentif aux indices qui devraient nous mettre en état d’alerte. Il faut répéter aux intervenants qu’ils n’ont pas à se mettre dans le risque, car la tendance à être un superman ou une superwoman doit être constamment contrecarrée, soulignait un conseiller.

Pouvoir compter sur ses collègues

Mieux que le bouton-panique, le travail en équipe représente la plus grande sécurité pour les intervenants. Mettre en commun ses observations, gérer les risques avec ses collègues, ce sont des mécanismes qui permettent de savoir quoi regarder, qui est plus à risque, qui va moins bien. Un puzzle que l’on fait ensemble pour être plus vigilants ou efficaces. Les moments de rencontres sont aussi l’occasion de décompresser, de nourrir l’ambiance. Tout cela suppose que l’équipe a développé une cohésion, une complicité et que ses membres sont tricotés serrés. Une formule gagnante car une équipe qui se tient, ça se répercute sur le climat de la maison et c’est un bon paravent contre de possibles agressions. Les résidents le sentent et ils auront moins tendance à manipuler, à déjouer les uns et les autres. Au contraire, quand il y a de la bisbille, pas de sentiment d’équipe, les gars rentrent là-dedans, puis ils sont contents. Un climat sain offre d’autres protections parce que si tu te fais attaquer ou menacer, les autres sont là pour te « backer ». Un phénomène que l’on voit peu dans d’autres milieux.

Et qu’est-ce qu’une bonne équipe ? Un mélange de personnes qui possèdent différents profils de formation, des aptitudes et des forces complémentaires. De jeunes et de gens d’expérience. Les premiers représentent la relève et le sang neuf et font contrepoids à ceux qui sont dans leurs pantoufles mais sur qui on peut s’appuyer parce qu’ils ont de l’expérience. Bien sûr, des équipes équilibrées quant à la représentation des hommes et des femmes. Un sujet qui reviendra souvent sur le tapis. Et qui ne fait pas l’unanimité. Car, il y a ceux qui se demandent si la présence féminine à outrance ne serait pas un facteur prédisposant à la victimisation. Et les autres pour qui, être une femme dans ce métier est plutôt un élément de protection puisque les gars n’ont pas la mentalité de s’attaquer aux femmes. Il n’en reste pas moins que leur présence a changé la culture des maisons. Un participant a évoqué l’époque où les échanges avec les résidents étaient plus virils, où les intervenants masculins n’avaient pas le réflexe d’aller se plaindre à moins d’être très affecté. Le ton ferme, la prestance, la stature physique sont des attributs que l’on reconnaît aux hommes et qui faciliteraient l’intervention. Quant à elles, les femmes auraient plus de facilité à parler avec les résidents et seraient plus apaisantes et moins autoritaires. Par contre, il leur faut tout le temps dealer avec « le cruisage » surtout lorsqu’elles sont jeunes.

Et le soutien ?

En maison de transition, recourir à un programme d’aide aux employés a longtemps été mal perçu. On craignait que les patrons puissent s’en servir pour nous faire un mauvais dossier. On reconnaît maintenant l’importance d’une démarche proactive permettant d’aménager des rencontres individuelles, d’offrir un espace de parole pour liquider au fur et à mesure. Les assurances professionnelles, les séances gratuites en psychothérapie font partie des moyens dont dispose ce réseau. Le programme sur l’intervention en situation de crise est aussi fort bien reçu. La plupart des intervenants (73,4 %) l’ont suivi. Ils estiment qu’on leur a ainsi donné des outils pour reconnaître les situations potentiellement dangereuses (72,5 %), pour mieux agir (65,2 %) en de telles circonstances et pour trouver les ressources pouvant les aider s’ils ont été victimes (66,7 %). Mais, parler des violences que l’on a vécues, c’est se mettre en position de faiblesse et se soumettre au jugement de ses pairs. Des craintes encore présentes.

Conclusion

Cette recherche exploratoire pose un regard intéressant sur la victimisation en maison de transition. Un thème occulté jusqu’à présent. La qualité des interventions auprès des résidents et la maîtrise de certaines habiletés sont des paramètres importants pour comprendre la victimisation criminelle, son émergence ou non dans ces milieux. Mais ils n’expliquent pas tout. L’environnement de travail, la vie d’équipe, les contraintes organisationnelles sont d’autres facteurs qui entrent en jeu. Notre démarche laisse en plan des questions qui méritent d’être approfondies, mieux étayées. Il faudrait pousser la réflexion sur les conditions et les circonstances dans lesquelles la violence se manifeste et sur les solutions individuelles et collectives qui peuvent la contrer ou la prévenir. Nous comptons aller plus loin avec la collaboration de l’ASRSQ, des directeurs et des intervenants des maisons de transition.

En attendant, nous tenons à remercier l’ASRSQ et toutes les personnes qui ont alimenté cette recherche en puisant dans leurs expériences. Ils n’ont pas été rebutés par le thème et tout ce qu’il sous-tend… C’est une première plongée et ils (ou elles) n’ont pas eu peur de se mouiller.